Le Fardeau de Lucifer
avons interrogé un messager en provenance de Toulouse, du nom d’Albin de Hautpoul.
Malgré moi, mes yeux glissèrent vers l’autel, sous lequel pourrissait le cadavre du susdit.
— À la lumière des informations obtenues, sire Eudes a proposé une initiative qui m’apparaît toujours pertinente. Eudes, voudrais-tu résumer la chose pour le bon entendement de tous ?
Le templier acquiesça de la tête, se leva et résuma les informations livrées par le messager, à savoir que Simon de Montfort avait repris sa marche dans le Sud, qu’il avait pris Lavaur et Les Cassés, qu’il avait fait pendre tous les chevaliers cathares qu’il avait trouvés, lapider la châtelaine et brûler des Parfaits. Puis il atteignit le nœud de la question.
— Nous ne devons être aveuglés ni par la foi, ni par nos modestes succès, déclara-t-il avec fermeté. Chaque ennemi tué est remplacé la saison suivante par deux ou trois, alors que nos armées se diluent au rythme des pertes et des trahisons. À terme, nous serons vaincus. Toulouse est une de nos plus importantes cités. Sa perte minerait le moral de nos troupes et aurait un impact terrible pour notre cause. Je crois donc que nous en sommes arrivés à tenter une manœuvre désespérée.
— Et quelle serait-elle ? s’enquit Peirina.
— Je propose de couper la tête du monstre.
— Tu veux tenter d’assassiner Simon de Montfort ? fit Esclarmonde, stupéfaite. Comment te proposes-tu de te rendre à lui ?
— Personne ne sait que sire Bertrand est passé dans notre camp. En principe, les croisés le croient tombé au combat pendant qu’Evrart de Nanteroi incendiait le village près de Cabaret.
Il consulta Montbard du regard et mon maître acquiesça de la tête.
— M’est avis qu’il pourrait regagner le camp des croisés sans coup férir et s’approcher de Montfort, par exemple pour lui signifier son retour et lui faire rapport, dit Eudes. Il n’aura qu’à dire qu’il s’est enfui de Cabaret, où il était gardé prisonnier. Il suffirait qu’il soit accompagné d’un prisonnier de valeur. Par exemple, un templier qui aurait trahi l’Église et le pape pour faire cause avec les cathares.
— Un templier comme toi, je présume, dit Jaume.
— C’est ce que j’avais dans l’idée, oui, répondit Eudes. Grâce à ce stratagème, nous pourrions nous approcher assez près de Montfort pour lui ouvrir le ventre. Sa mort désorganiserait les croisés.
— Pour un temps, certes, mais il serait remplacé, objecta Raynal.
— Soit, mais ce délai nous permettrait de nous réorganiser. Au pire, cela représenterait un répit jusqu’à la prochaine quarantaine. Et peut-être leur prochain chef sera-t-il moins compétent.
— Mon pauvre ami. fit Esclarmonde. Ce que tu proposes est un suicide pur et simple. Même si vous arriviez à occire Montfort, au mieux, ses gardes vous tailleraient en pièces sur-le-champ. Au pire, ils vous garderaient en vie pour le gibet ou le bûcher.
— Nous avons tous juré de défendre la Vérité de notre vie et un soldat ne doit pas mourir dans son lit, gronda Montbard. Surtout lorsqu’il est déjà éclopé et qu’il ne peut plus servir à grand-chose. Mettre fin aux jours de ce monstre me donnerait grand plaisir.
Mon premier instinct fut de m’opposer, mais mon maître avait raison. Il était déjà un vieil homme infirme. Le plus cruel des sorts serait de le laisser mourir de grand âge, dans l’amertume et l’inutilité. J’empoignai l’abacus avant de parler.
— Nous ferons tel qu’il a été proposé, à quelques différences près.
Eudes m’adressa un air perplexe et attendit la suite.
— Bertrand de Montbard retournera auprès des croisés, ainsi qu’il a été suggéré, mais en compagnie de Raynal. Ensemble, ils livreront à Montfort un prisonnier que ce démon souhaite revoir plus que tout autre : moi.
— Quoi ? s’écria Véran. Tu n’y penses pas ! Le Magister de l’Ordre ne doit pas courir de tels risques ! Ta place est ici, près de la Vérité !
— Ma place est là où je l’estime requise, répliquai-je calmement. Le Magister est parfaitement remplaçable, j’en suis la preuve incarnée. Ma responsabilité est de protéger la Vérité et je juge que ceci est la meilleure manière de le faire.
Sous l’abacus, je décrétai mon premier ordre en tant que Magister de l’Ordre des
Weitere Kostenlose Bücher