Le Fardeau de Lucifer

Neuf, sachant qu’il déplaisait à tous et qu’il était probablement mon dernier.
    —    La chose étant discutée, Bertrand, Raynal et moi-même nous rendrons dans le camp des croisés pour tenter d’occire Simon de Montfort. Nous partirons après-demain. Pendant mon absence, Eudes de Saint-Agnan occupera mon fauteuil et aura toute liberté de prendre les décisions qu’il jugera nécessaires pour assurer la protection de la Vérité. Si je tarde à revenir, il reviendra à dame Esclarmonde de juger de la pertinence d’organiser une élection pour désigner mon successeur.
    Je retirai la clé passée à mon cou, traversai le temple et la remis à Eudes.
    —    Ceci doit demeurer avec la cassette, dis-je en la lui tendant. Qu’elle soit transmise selon les usages si je ne reviens pas.
    —    Je ne suis toujours pas d’accord, grommela-t-il en l’acceptant de mauvaise grâce.
    —    Ton objection a été dûment notée, sire Eudes, répondis-je avant de retourner à ma place.
    —    Et moi ? s’écria Ugolin en se mettant debout, le visage cramoisi d’indignation. Je fais quoi ?
    Je savais fort bien que le géant de Minerve ne pouvait s’imaginer rester derrière alors que Montbard et moi allions affronter le danger. Sa loyauté était telle que son sacrifice allait de soi.
    —    Je dois laisser des hommes de valeur auprès de la Vérité, Ugolin. Tu resteras ici et tu apporteras à Eudes toute l’aide dont il a besoin.
    —    Mais. mais, la jambe de sire Bertrand, elle pourrait se briser. balbutia-t-il piteusement.
    —    Le cas échéant, nous la réparerons ou il ira à cheval. Au pire, il sautillera.
    Le pauvre garçon chercha en vain un autre argument et se rassit, démoralisé et furieux. Pernelle, qui n’avait pas dit mot depuis l’ouverture de l’assemblée, bondit sur ses pieds et prit le relais.
    —    Vous aurez besoin d’un médecin ! s’écria-t-elle d’une voix désespérée. Je vais vous accompagner ! Je ne prendrai que le minimum nécessaire et,
    —    Tu es une Parfaite, Pernelle, pas un soldat, coupai-je. Nous nous rendons là-bas pour tuer. Si tu étais prise, tu serais brûlée sur-le-champ. Je ne peux pas risquer une telle chose.
    —    Je me déguiserai ! J’ai encore les vêtements que je portais dans le Nord ! J’ai toujours l’accent ! Les croisés n’y verront que du feu !
    —    Non.
    —    Mais,
    —    Non ! éclatai-je. Le Magister a décrété sous l’abacus ! Ma décision est finale et tu es tenue à l’obéissance, ma sœur !
    Dépitée, Pernelle se rassit, penaude, comme une petite fille qui vient de se faire gronder. Je la connaissais assez pour savoir qu’elle retenait ses larmes tout en fulminant. Pour mettre fin à toute autre discussion, je me levai.
    —    Mes frères et sœurs, la Lumière étant retournée aux Ténèbres, le moment est venu de clore cette assemblée. Ensemble, renouvelons le serment qui nous lie à la Vérité, maintenant et à jamais.
    L’obligation fut dite, les paroles rituelles prononcées et l’assemblée conclue. Je fermai les travaux avec la même hâte que je les avais ouverts. Lorsque ce fut fait, je restai dans le temple avec
    Montbard, Eudes et Raynal pour peaufiner notre plan. L’idée d’entreprendre un voyage en compagnie de Raynal m’était désagréable, mais, à l’exception d’Eudes, il était le meilleur soldat des Neuf et, Montbard étant maintenant limité par son infirmité, j’avais besoin d’un bras sûr à mes côtés. De toute évidence, Raynal n’était pas plus enthousiaste. Mais, respectueux des règles, il se montra coopératif et contribua substantiellement à nos discussions. Deux heures plus tard, tout était décidé. Il nous faudrait une journée pour finaliser nos préparatifs. Puis, au lever du soleil suivant, notre trio prendrait le chemin de Toulouse afin d’y tenter l’impossible. Quant à moi, je savais que je suivais le chemin du sceau du Cancellarius Maximus.
    Le plan était simple. Je jouerais le rôle du prisonnier de deux templiers au service de l’Église, dont l’un, Montbard, avait réussi à fuir les hérétiques qui l’avaient capturé et qui avait été si bien torturé qu’il en avait perdu une jambe. Évidemment, je n’avais nulle intention de le mettre en application, mais c’était le prétexte dont j’avais besoin pour quitter Montségur. Il suffisait d’atteindre Toulouse avant les croisés. Le