Le faucon du siam
pour nous des conséquences plus
graves, il s'agirait d'interdire aux membres de la Compagnie d'entrer au
service d'un souverain étranger, même s'ils donnent auparavant leur démission.
»
Phaulkon dressa l'oreille. « Cela nous empêcherait en
effet de travailler pour le roi de Siam.
— Exactement, dit White. Certes, ils ne pourraient y
faire grand-chose tant que nous serions ici. Mais », poursuivit-il en songeant
à son rêve de devenir un gentleman-farmer, « un tel homme risquerait de se
faire arrêter dès l'instant où il poserait de nouveau le pied sur le sol
britannique.
— Je crois que l'on pourrait me persuader de finir
mes jours au Siam si l'on me donnait assez d'esclaves, remarqua Ivatt. Je
pourrais toujours en envoyer un ou deux en Angleterre pour me tenir au courant.
— C'est une décision que nous aurons à prendre le
moment venu, observa Burnaby. Pour ma part, je ne demande pas mieux que de
m'installer ici.
— Si vous me permettez, observa Ivatt, vous devriez
vraiment apprendre un peu la langue, Richard. Sinon, il vous faudra une vaste
demeure rien que pour abriter votre équipe d'interprètes.
— J'envisage de me retirer de bonne heure en
Angleterre. A la campagne, précisa White d'un ton pensif. Et vous, Constant ?
— Mon destin est au Siam, Samuel. Je l'ai senti dès
l'instant où je suis arrivé dans ce pays. Et, messieurs, ajouta-t-il en
regardant autour de lui, après bien des revers je suis convaincu que cette
expérience en Perse va sonner le début de l'accomplissement de ce destin. » Il
marqua un temps pendant que chacun réfléchissait à ses paroles. « Et
maintenant, Samuel, vou-driez-vous nous expliquer votre plan d'action?
— Certainement. Après avoir chargé les marchandises
à Mergui, je vais faire route au plus tôt pour Ormuz, en Perse. Une fois hors
de vue de la côte, je vais hisser le pavillon français, changer le nom de mon
navire pour le rebaptiser Auxerre, en espérant ne rencontrer dans les
parages aucun vaisseau français. Heureusement, ils sont encore assez rares.
Avec un peu de chance je vendrai la marchandise au port d'Ormuz sans avoir à
faire le voyage jusqu'à Ispahan. La somptueuse cour du shah Soliman et de ses
nobles est, m'a-t-on dit, fort avide de soie et de satin chinois, et il devrait
y avoir à Ormuz bon nombre d'intermédiaires prêts à payer un prix substantiel
pour toute la cargaison.
— Vous avez entendu, capitaine Beurnabbé [sic]? dit
Phaulkon. Oh, Richard, j'allais oublier de vous dire : vous avez été désigné
par le Barcalon pour diriger cette expédition. C'est à mon tour de rester ici
en otage.
— Alors, Richard, vous feriez bien de réviser un peu
votre français. Qu'il soit au moins aussi bon que votre siamois.
— C'est donc M. Burnaby qui va commander
l'expédition? interrogea White.
— Oui, Samuel, sur ordre du Barcalon. Comme vous le
savez sans doute, c'est le Premier ministre de Siam. Il veut que l'on donne
l'impression d'une mission commerciale britannique officielle à partir du Siam.
— Je comprends, dit White.
— Vos hommes accepteront sans mal le nouveau
commandant, j'imagine? demanda Phaulkon.
— Quand je le leur expliquerai, certainement,
monsieur, répondit White avec assurance.
— Très bien, fit Phaulkon. Je vais envoyer Thomas à
Mergui attendre votre retour aux alentours de la date prévue, s'il parvient à
s'arracher à ses obligations au palais. Disons : dans trois mois ? »
White acquiesça. « Cela me semble correct. J'enverrai un
canot pour le prévenir. Bien entendu, YAiixerre devra rester hors de vue
de la côte.
— C'est entendu. Thomas aura le commandement d'une
jonque côtière siamoise, assez grande pour recueillir tout votre équipage
lorsque votre navire aura sombré. »
Il y eut un silence : tous réfléchissaient au plan.
« Eh bien, messieurs, conclut Phaulkon, je crois que
c'est tout. Je propose maintenant de porter un toast au succès de l'expédition.
Et puis je vous invite à vous joindre à moi pour un dîner tardif. » Il
s'approcha d'un coffre laqué dans un coin de la pièce, d'où il tira une
bouteille de vin et quatre verres. Tout en débouchant la bouteille, il songeait
que le cours de son existence allait désormais dépendre de la réussite ou de
l'échec de cette expédition en Perse : pourrait-il abandonner définitivement
tous ses liens avec le monde occidental et lier son sort à celui de ce
merveilleux royaume asiatique auquel il se
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