Le faucon du siam
sentait son sang bouillir et il
éprouva une brusque envie de l'emmener loin d'ici. Il fit un geste à peu près
dans sa direction, car il était grossier de montrer quelqu'un du doigt, puis il
se désigna lui-même et prononça : « Toi et moi, Ayuthia ? »
Elle l'observa un moment en silence, comme si elle
s'efforçait de comprendre ce qu'il voulait dire, puis elle répéta : « Nai
leh dichan ? Pai Ayudhya ? »
Il acquiesça avec entrain et vit son visage s'illuminer.
« Pai! Duey! » Oh oui, j'irai avec toi!
Instinctivement, il lui tendit les bras mais ce brusque
mouvement lui fit mal : le voyant tressaillir, elle l'obligea à les baisser.
Elle le regarda tendrement et, posant un doigt sur ses lèvres, lui imposa le
silence. « Ja mee okat », dit-elle avec chaleur. Il y aura bien d'autres
occasions. « Pai, pai Ayudhya ! » répéta-t-elle tout heureuse. Il
souriait encore au moment où un serviteur entra pour annoncer le Palat.
L'adjoint fit un signe bref à Phaulkon avant de se
tourner vers Sunida. « Son Excellence désire voir le farang immédiatement »,
dit-il.
Quelque chose dans le ton du Palat fit frissonner le
Grec.
Phaulkon demeurait prosterné devant le gouverneur. Comme
c'est étrange, songea-t-il, qu'il n'y ait pas d'interprète. Le mandarin
l'accueillit sèchement, puis se tourna vers le Palat.
« Kling!
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres.
— Kling, nous avons reçu d'étonnantes nouvelles. La
factorerie hollandaise vient de me fournir la preuve irréfutable qu'un des
farangs, le petit, parle couramment notre langue. » Le mandarin tira de sa
bourse une lettre pliée et la tendit vers la forme allongée du Palat. « Comme
c'est extraordinaire qu'il ait voulu tout ce temps garder le secret à ce sujet.
Il devait avoir quelque chose d'important à cacher. Ce sera ton devoir, Kling,
de découvrir exactement de quoi il s'agit. »
Le Palat eut un grand sourire à l'idée de rendre service
à son maître, et surtout dans un domaine où il excellait.
« Puissant Seigneur, je reçois vos ordres.
— Pour commencer, tu vas chercher le petit farang et
le faire conduire au cachot. » Le gouverneur marqua un temps et fit une grimace
de dégoût. « Veille à ce que la porte soit bien fermée. Tu sais comme j'ai
horreur de ces bruits.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres.
— Tu vas t'adresser au petit farang en siamois et
si, après quelques tentatives, il refuse toujours de répondre, tu lui
trancheras la langue pour le punir de son insolence. Si c'est le silence qu'il
recherche, nous veillerons à ce qu'il ne parle plus jamais aucune langue. Tu
m'apporteras ensuite la langue pour que nous puissions la montrer à son ami ici
présent. » Le gouverneur désigna Phaulkon. « Peut-être M. Forcone pourra-t-il
jeter quelque lumière sur la situation et nous expliquer pourquoi son ami a
tenté tout ce temps de nous tromper. Va maintenant. Et envoie-moi l'interprète
pour que je puisse en attendant converser avec M. Forcone.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres. » Le
Palat sortit à reculons.
Le gouverneur se tourna alors vers Phaulkon et lui
adressa un aimable sourire. Au prix d'un grand effort, le Grec sourit à son
tour. Il se sentait malade. Pauvre Thomas! Il ne pouvait pas laisser pareille
chose lui arriver. Après tout, le petit homme était innocent. Mais comment
empêcher cela sans se trahir lui-même ? La tête lui tournait. Même ce stupide
Hollandais n'aurait pas pu en arriver à la conclusion que c'était Ivatt qui
parlait siamois. On devait savoir à Avuthia qu'il venait d'arriver au Siam,
même si le gouverneur l'ignorait. C'était manifestement un piège tendu par Joop
Van Risling. Mais si le gouverneur croyait ce mensonge, Ivatt se trouvait dans
de beaux draps !
L'interprète eurasien entra en rampant dans la pièce et
vint se placer auprès du mandarin.
« Je vous ai fait venir ici pour m'enquérir de vos
blessures, monsieur Forcone, lui dit cordialement le gouverneur par le
truchement de l'interprète. Pensez-vous être assez bien pour voyager demain ?
— Je le crois, Excellence, je vous en remercie. J'ai
encore toute une nuit de repos devant moi et je compte bien en profiter
pleinement. Je regrette seulement de manquer le spectacle que M. Ivatt, notre
plus jeune collègue, prépare pour Votre Excellence. Les enfants du palais sont
avec lui en ce moment : ils sont fascinés en le regardant s'entraîner. Je les
ai aperçus en traversant la
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