Le feu de satan
qu’il voulait en vérité – ce que voulait le roi de France –, c’était provoquer un grand scandale qui rejaillirait sur l’ordre.
— Mais pourquoi ? s’écria Branquier.
— Pour que la Couronne anglaise s’attaque aux templiers et que l’Échiquier saisisse leurs biens et s’approprie leur trésor. Et ce que commencerait Édouard en Angleterre, Philippe l’achèverait en France. Et si le Saint-Père élevait des protestations...
Corbett haussa les épaules.
— ... le roi de France montrerait notre souverain du doigt en disant qu’il ne faisait qu’imiter son noble frère. Il dissoudrait l’ordre, confisquerait ses terres et ses richesses, remplirait ses coffres et en même temps se débarrasserait des gens qui lui rappelaient constamment l’héroïsme de son aïeul, Saint-Louis, partant en croisade. Et le pape considérerait Édouard comme le principal coupable. Or l’assassin se doutait que je serais chargé de l’enquête, aussi me fit-il parvenir des menaces de mort et tenta-t-il de me tuer près des Shambles.
— Mais nous étions tous partis d’York à ce moment-là, objecta Molay. Aucun templier ne se trouvait en ville lorsque vous avez été attaqué.
Le grand maître eut un geste conciliant.
— Il est vrai que l’un d’entre nous aurait pu vous envoyer ce message, mais...
— Ce n’est pas le cas, coupa Corbett. Mon attaquant n’était pas un templier, n’est-ce pas, Messire de Craon ?
Le Français ne cilla pas.
— Vous seul, enchaîna Corbett en pointant un doigt accusateur vers le diplomate, vous seul saviez quand je m’étais mis en route pour le palais épiscopal. Vous m’avez fait suivre. Vous ou l’un de vos sbires avez organisé ce guet-apens, et ainsi embrouillé encore plus cette affaire.
— Et Reverchien ? objecta Legrave d’une voix rauque, sans bouger la tête. Aucun d’entre nous n’était au manoir lorsqu’il a rendu son âme à Dieu.
— Exact, concéda Corbett. Mais vous y étiez la veille de sa mort, jour où l’assassin s’est rendu au centre du labyrinthe en emportant le mélange dangereux. Sur le piédestal devant la croix se trouvent trois cierges sur une herse. L’assassin a répandu les poudres sur ces cierges, le piédestal et les marches où Reverchien avait coutume de s’agenouiller.
— Je vois, souffla Branquier. Le vieux croisé a allumé les cierges en récitant ses prières et en ne pensant qu’à Dieu.
— Exactement.
Corbett adressa un signe à Ranulf qui attendait dans un coin de la salle. Celui-ci s’approcha, un petit bol à la main. Corbett plaça le récipient sur la table avec un sourire d’excuse à Molay.
— Je l’ai emprunté aux cuisines.
Il alla prendre l’une des nombreuses bougies qui brûlaient à des chandeliers sur le rebord de la fenêtre.
— Dans ce bol, j’ai mis une très petite quantité de cette poudre qui provoque le feu grégeois.
Il leva les yeux, car les templiers repoussaient leurs sièges.
— Non, il n’y a aucun danger.
Il extirpa de son aumônière un long morceau de vélin sec qu’il enfonça dans le bol. Il en enflamma l’autre bout. Le feu s’en empara prestement et atteignit le mélange. Même Ranulf sursauta de frayeur lorsque jaillit une courte flamme vive.
— C’est ce que fit Reverchien, conclut Corbett en prenant le bol et en observant, avec défiance, le contenu noirci. Reverchien alluma les trois cierges en récitant ses prières, sans voir la poudre mortelle, dans cette semi-obscurité qui précède l’aube. Aussitôt, la poudre sur la marche s’enflamma et Reverchien fut transformé en torche vivante. Quel crime subtil que celui qui consiste à se débarrasser de sa victime en étant loin d’elle ! Et l’intensité du brasier est telle, expliqua-t-il en glissant le bol sur la table, que non seulement il est très difficile de l’éteindre avec de l’eau, mais qu’il supprime toute trace permettant d’en déterminer l’origine.
Corbett revint à sa place.
— Les circonstances des autres décès furent peu ou prou identiques. Peterkin, le marmiton, met un tablier et se protège les mains avec des chiffons, sans se rendre compte qu’ils ont été badigeonnés de cette même poudre. En ratissant le four, il devine instinctivement ce qui est arrivé. Et il meurt. Rappelez-vous : ses compagnons, dans la cuisine, discutent de la mort de Reverchien, entre autres faits étranges. Peterkin lance une plaisanterie sur le manoir qui
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