Le feu de satan
Murston, sur le Pavement ? Qui peut m’avoir adressé un message similaire ? Quoi qu’aient fait les templiers à York, nous avons établi qu’ils chevauchaient sur la route de Framlingham lorsqu’on m’a décoché ces carreaux.
— L’assassin, c’est peut-être ce cavalier masqué ? suggéra Maltote, tout content de son hypothèse. Ou l’un des commandeurs déguisés ?
— Ils pourraient aussi être responsables de ce trafic de fausse monnaie, ajouta Ranulf.
— Certes, déclara Corbett en se recouchant, mais de toute façon... S’il n’y pas de logique dans cette folie, si l’assassin tue pour le simple plaisir de tuer, il va promptement recommencer.
— Que faire ? s’inquiéta Ranulf.
— Retourner auprès du roi et lui rendre compte de ce que nous avons découvert : l’ordre des Templiers, divisé et démoralisé, semble avoir oublié sa mission première.
Corbett se releva à demi et s’appuya sur le coude.
— Mais si je fais part de ces conclusions, les gens de l’Échiquier ne tarderont pas à se demander ce qui justifie l’existence d’une communauté prospère semblant avoir perdu tout idéal et rongée par la trahison, la sorcellerie, le meurtre et autres scandales.
Le sergent qui patrouillait sur la grande prairie de Framlingham regarda la barque ballottée par les eaux du lac.
— Il serait temps que le vieux pense à rentrer, grommela-t-il.
Réajustant son baudrier, il s’engagea dans le long sentier qui menait à la berge. Sous le coucher du soleil resplendissant, la brise du soir rafraîchissait son front couvert de sueur.
— Oh, et puis après tout ! Laissons-le pêcher encore un peu, murmura-t-il.
Il s’assit dans l’herbe, ôta son casque et abaissa son camail. Il pensa à frère Odo. Le vieil archiviste avait pris sa barque Le Fantôme de la Tour et péchait déjà depuis un bon bout de temps.
— Plus utile que ce que je fais ! bougonna le soldat en arrachant une poignée d’herbe pour essuyer ses joues en sueur.
L’atmosphère de la garnison s’était détendue après le départ de ce fouineur de juriste et de ses compagnons, mais cela n’avait guère duré. Un messager était arrivé et Molay et les commandeurs s’étaient réunis en conseil dans la grand-salle. On avait donné des instructions qui renforçaient les ordres du grand maître : nul templier n’avait le droit de quitter le manoir et tout étranger surpris sur le domaine devait être arrêté sur-le-champ. Le sergent mâchonna un brin d’herbe en plissant les paupières pour observer, malgré le soleil couchant, l’esclavine de frère Odo qui claquait et virevoltait dans le vent du soir. L’archiviste, apparemment, avait du mal à maintenir sa longue canne à pêche. Le sergent apprécia la sérénité de la scène après la tourmente des derniers jours.
Tous avaient appris la tentative de régicide, les assassinats de Reverchien et de Peterkin, le cuisinier. Peu mentionnaient la mort de Murston, mais nombreux étaient ceux qui ressentaient de la honte devant son geste. Mais Murston s’était toujours conduit en cheval rétif. Ayant servi en Palestine, il se considérait comme une autorité morale en matière de Bien et de Mal.
Le sergent s’étendit sur l’herbe, le regard perdu dans les nuages moutonneux.
— Je voudrais être ailleurs, dit-il tout bas. Mais où ?
On n’avait plus besoin d’hommes en Orient, puisque Saint-Jean-d’Acre était tombé. Fini, les belles filles à la peau mate, les promenades dans les bazars. L’enthousiasme que soulevait jadis l’évocation des combats et de la garde du Saint-Sépulcre avait disparu. Tout ce qu’on pouvait espérer, c’était une garnison perdue dans un manoir reculé, ou au mieux une expédition contre les pirates barbaresques. Il se frotta les yeux. Ce n’était pas à lui de poser des questions ou de soulever des problèmes. La mort de Murston avait mis un terme à tout cela. Et qui était-il pour mettre en doute les agissements des maîtres de l’ordre ? Ils savaient ce qu’ils faisaient. Ils connaissaient des secrets dont ils discutaient, porte close.
Il se rappela la soupente isolée en haut du manoir. Que s’y passait-il donc ? Pourquoi Jacques de Molay et Branquier étaient-ils les seuls à avoir le droit d’y pénétrer ? À quoi rimaient les bougies de cire pourpre et les psalmodies ? Il avait monté la garde devant la soupente, une fois. Lorsque ses supérieurs en étaient sortis, il
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