Le feu de satan
avait remarqué qu’ils étaient couverts de poussière de la tête aux pieds. Que contenait donc cette pièce de si important pour que ces grands personnages s’y fussent prosternés face contre terre ?
Il entendit soudain du bruit et se releva pesamment. Frère Odo s’agitait comme si un poisson lui donnait du fil à retordre. Tout à coup, le sergent aperçut du feu à l’avant de la barque. Il lâcha son casque et se mit à courir.
— Frère Odo ! Frère Odo ! criait-il, mais la sombre silhouette encapuchonnée restait assise, comme indifférente aux flammèches bondissantes.
Le soldat délaça son baudrier et courut jusqu’à ce que ses poumons semblent éclater. Soudain il vit la barque et son occupant s’enflammer et disparaître dans un véritable brasier.
Il tomba à genoux, tremblant d’épouvante. Sous ses yeux, le feu dévora l’embarcation de l’avant à l’arrière ainsi que frère Odo. Même l’eau du lac semblait ne fournir aucune protection.
— Ô Seigneur ! Sauve-nous du feu de Satan ! haleta le sergent.
CHAPITRE IX
Corbett et ses compagnons trouvèrent le manoir de Framlingham en plein chaos. À peine descendus de cheval, devant les écuries, ils durent affronter Baddlesmere qui, barbe hérissée, accourait à leur rencontre.
— Sir Hugh, cria-t-il en avalant péniblement sa salive, veuillez me suivre chez le grand maître !
Malgré la chaleur et le ciel sans nuages, Corbett se sentit à nouveau oppressé. Il jeta un coup d’oeil autour de lui : les soldats du Temple qui remplaçaient palefreniers et garçons d’écurie lui opposèrent un regard vide.
— Quelqu’un d’autre est mort, hein ? souffla-t-il.
Baddlesmere acquiesça en lui faisant signe de le suivre.
Le magistrat ordonna à Maltote de panser les montures et se dirigea vers le corps de logis, escorté par Ranulf. Ils traversèrent le petit cloître et arrivèrent aux appartements du grand maître, une cellule sobre, dépouillée, plus grande que celle de Corbett, mais tout aussi austère avec ses murs chaulés, son crucifix noir et ses dalles couvertes de jonc frais. Jacques de Molay siégeait derrière une simple table où se dressait un crucifix en métal, et les commandeurs l’entouraient, leur visage grave et leurs paupières rougies trahissant leur désarroi.
Jacques de Molay se leva à l’entrée de Corbett et pria sèchement Baddlesmere d’apporter d’autres sièges. Lorsque tous furent installés, le grand maître frappa sur la table.
— Sir Hugh, hier, pendant votre absence, frère Odo est mort. Ou plutôt, on l’a assassiné. Il était allé pêcher en fin d’après-midi, comme à l’accoutumée, dans sa barque Le Fantôme de la Tour. Il s’y trouvait depuis un certain temps, ce qui n’avait rien d’exceptionnel, lorsqu’un sergent qui l’observait et allait l’avertir qu’il était temps de rentrer pour les vêpres et le souper a vu s’embraser l’avant de l’embarcation. Il n’eut pas le temps d’agir : frère Odo et la barque avaient disparu dans les flammes.
Corbett enfouit son visage dans les mains en murmurant :
— Je lui ai parlé dans la bibliothèque juste avant mon départ pour York. Il m’a montré sa chronique. Il en était très fier.
Il scruta les visages autour de lui.
— Pourquoi ? Comment cela est-il possible ?
— Nous l’ignorons, répondit Branquier. Nous n’en savons rien, absolument rien, Corbett : c’est la raison pour laquelle nous vous attendions avec impatience. C’est vous l’envoyé du roi.
Il pointa un doigt accusateur vers Corbett.
— C’est vous qu’on a chargé d’élucider cette affaire. Alors faites-le !
— Ce n’est pas si simple, s’interposa Legrave. Comment Sir Hugh peut-il démêler cet écheveau ? Frère Odo est allé pêcher. Tout était calme, tranquille. Et la barque se trouvait au beau milieu du lac, par tous les saints ! Personne ne l’a rejointe à la nage. Personne d’autre n’était avec lui. Et pourtant son embarcation et lui ont été engloutis dans un brasier que même l’eau du lac n’a pu éteindre.
— Quels restes a-t-on retrouvés ? demanda Ranulf d’un ton cassant.
Les templiers le toisèrent avec dédain.
Corbett le soutint.
— La question de mon clerc a son importance.
— Très peu de chose, répondit Molay. Frère Odo était carbonisé, méconnaissable. On a repêché quelques planches noircies, mais c’est tout.
— Rien d’autre, vraiment ?
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