Le feu de satan
dévaluées, et si je remettais ce trésor à l’Échiquier, quelle récompense aurais-je eue ? Des questions à n’en plus finir par des clercs qui auraient insinué que je l’avais volé et auraient recherché toutes les subtilités de la loi pour garder cet or ! Combien de pièces seraient parvenues au Trésor royal, Sir Hugh ? Clercs de l’Échiquier ou négociants en vins, tous ont les doigts crochus !
— Vous auriez pu adresser une requête au roi lui-même, objecta Corbett.
— J’y ai pensé le jour où vous êtes venu, reconnut Seagrave. J’ai failli céder et tout avouer, mais...
Il haussa les épaules.
— ... c’était trop tard. J’avais attendu impatiemment l’arrivée de notre souverain. Barons, maison royale, clercs, serviteurs en livrée, tous ces visiteurs... c’était le moment ou jamais d’écouler cet or. Les pourvoyeurs de la Cour achetaient à tour de bras et les marchands d’York décuplaient leurs bénéfices.
Ses traits se décomposèrent, les larmes coulèrent sur ses joues cendreuses.
— Et maintenant, j’ai tout perdu, geignit-il.
Tout à coup la porte s’ouvrit à la volée et son épouse entra, deux jeunes enfants accrochés à ses jupes.
— Que va-t-il advenir de nous ? s’écria-t-elle, son beau visage ravagé par l’angoisse et ses yeux sombres reflétant la peur.
— Veuillez patienter dehors, Maîtresse Seagrave, lui ordonna Corbett. C’est le trésor que réclame le roi, pas la tête d’un homme. La façon d’agir de votre époux peut se comprendre.
Il attendit que la porte se refermât. Seagrave avait séché ses pleurs et le dévisageait, plein d’espoir.
— Voici ce que vous devez faire, annonça doucement Corbett : demandez audience auprès de notre souverain, apportez-lui le trésor, ne mentionnez ni ma visite ici, ni même mon nom...
Corbett s’interrompit.
— Non, dites-lui que j’ai dîné ici et que vous m’avez demandé s’il vous serait possible d’obtenir une audience.
— Et ensuite ? s’enquit fébrilement le marchand.
— Faites appel à sa mansuétude et ouvrez les sacs. Croyez-moi, Maître Seagrave, le roi vous traitera comme son propre frère, si vous lui donnez tout.
— Vous voulez dire... balbutia Seagrave.
— Oh, par tous les saints, mon ami ! s’exclama Corbett. Vous avez trouvé de l’or et en avez dépensé une partie. Cela sera retranché de votre part.
— Alors il n’y aura aucune amende, aucun emprisonnement ?
Corbett se leva.
— Maître Seagrave, rétorqua-t-il vertement, si vous jouez bien votre rôle, vous serez probablement anobli.
L’aubergiste tenta de le retenir en proposant de récompenser sa générosité. Corbett resta un moment à finir son vin et à assurer au tavernier tout tremblant que sa famille n’avait rien à craindre de lui.
— Est-ce vraiment juste ? bougonna Claverley en profitant d’un moment où ils étaient seuls dans la pièce.
— Ce n’est pas bien grave ! dit Corbett avec un rire bref. Seagrave n’est victime que de sa propre cupidité. Si nous punissions tout un chacun pour cela, on ne trouverait pas assez de potences dans tout le pays. Et vous, ordonna-t-il avec un geste brusque, pas un mot sur cette affaire.
— Vous avez ma parole.
Ensuite Seagrave les mena aux écuries où les attendaient leurs chevaux. Le marchand, l’air inquiet, tira Corbett par la manche.
— Sir Hugh, j’ai un dernier aveu à faire.
— Le trésor est plus important !
— Non. Le jour où vous êtes venu... je croyais que vous suiviez quelqu’un !
— Expliquez-vous !
— Eh bien, le jour de l’entrée du roi à York, ma taverne, comme toutes celles de la cité, était pleine à craquer. Deux templiers sont entrés. L’un était un officier supérieur. Je l’ai deviné à sa façon de parler. Un chauve à la barbe grisonnante, court sur pattes et trapu.
— Baddlesmere ! s’exclama Corbett.
— Et il était accompagné d’un sergent : un jeune blond avec un accent étranger. J’ai cru qu’ils venaient discuter des deux manses de terrain, aussi les ai-je invités pour évoquer mes projets.
Il s’éclaircit la gorge.
— Bref, à parler franc, ils sont rentrés dans mon jeu. Ils ont voulu une chambre, disant qu’ils avaient à débattre de choses graves, loin des oreilles indiscrètes. Je leur ai donné satisfaction. C’était tôt le matin. Vers l’heure de sexte, le plus âgé est parti, puis ce fut le tour du jeune,
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