Le Feu (Journal d'une Escouade)
l'image de la femme et des petits.
Hors de la liasse des papiers jaunis et noircis, Volpatte extrait la photographie et me la montre une fois de plus. Je refais connaissance avec Mme Volpatte, une femme au buste opulent, aux traits doux et mous, entourée de deux garçonnets à col blanc, l'aîné mince, le cadet rond comme une balle.
– Moi, dit Biquet, qui a vingt ans, je n'ai que des photos de vieux.
Et il nous fait voir, en la plaçant tout près de la bougie, l'image d'un couple de vieillards qui nous regardent, l'air bien sage comme les petits enfants de Volpatte.
– J'ai les miens aussi avec moi, dît un autre. J'quitte jamais la photographie de la nichée.
– Dame ! chacun emporte son monde, ajoute un autre.
– C'est drôle, constate Barque, un portrait, ça s'use à force d'être regardé. Il ne faut pas le zyeuter trop souvent et être trop longtemps dessus : à la longue, j'sais pas c'qui s'passe, mais le rapprochement fiche le camp.
– T'as raison, dit Blaire. Moi, j'trouve ça comme ça aussi, exactement.
– J'ai aussi dans mes papelards une carte de la région, continue Volpatte.
Il la déplie devant la lumière. Elimée et transparente aux plis, elle a l'air de ces stores faits de carrés cousus l'un à l'autre.
– J'ai encore du journal (il déroule un article de journal sur les poilus), et un livre (un roman à vingt-cinq centimes « Deux fois Vierge »)… Tiens, un autre morceau de journal : L'Abeille d'Etampes . J'sais pas pourquoi j'ai gardé ça. I' doit y avoir une raison d'ssous. J'voirai à tête reposée. Et puis, mon jeu de cartes, et un jeu d'dames en papier avec des pions en espèce de pain à cacheter.
Barque, qui s'est approché, regarde la scène, et dit :
– Moi, j'ai plus d'choses encore qu'ça dans mes profondes.
Il s'adresse à Volpatte :
– As-tu un soldbuch boche, crâne de pou, des ampoules d'iode, un browning ? Moi, j'ai ça et j'ai deux couteaux.
– Moi, dit Volpatte, j'ai pas d'revolver, ni de livret boche, mais j'aurais pu avoir deux couteaux ou même dix couteaux ; mais j'n'ai besoin que d'un.
– Ça dépend, dit Barque. Et as-tu des boutons mécaniques, face de dos ?
– Moi, j'nai dans m'poch', s'écrie Bécuwe.
– L'troufion, il n'peut pas s'en passer, assure Lamuse. Sans ça pour faire t'nir les bertelles au froc, c'est pas vrai.
– Moi, dit Blaire, j'ai toujours dans la poche, pour être à portée de ma main, ma trousse à bagues.
Il la sort, enveloppée dans un sachet à masque, et il la secoue. Le tiers-point et la lime sonnent, et on entend aussi le cliquetis des anneaux bruts d'aluminium.
– Moi j'ai toujours de la ficelle, c'est ça qu'est utile ! dit Biquet.
– Pas tant que des clous, dit Pépin, et il en fait voir trois dans sa main : un gros, un petit et un moyen.
Un à un, les autres viennent participer à la conversation, tout en bricolant. On s'habitue à la demi-obscurité. Mais le caporal Salavert qui a la juste réputation de n'être pas bête de ses mains, adapte une bougie dans la suspension qu'il a fabriquée avec une boite de camembert et du fil de fer. On allume, et autour de ce lustre chacun raconte avec des partialités et des préférences de mère ce qu'il a dans ses poches.
– D'abord, combien en a-t-on ?
– D'poches ? Dix-huit, dit quelqu'un, qui est naturellement Cocon, l'homme-chiffre.
– Dix-huit poches ! Tu charries, nez d'rat, fait le gros Lamuse.
– Parfaitement : dix-huit, réplique Cocon. Compte-les, si t'es si malin qu'ça.
Lamuse veut se faire une raison là-dessus, et, plaçant ses deux mains près du lumignon pour compter plus juste, il énumère sur ses gros doigts de brique poussiéreuse : deux poches dans la capote derrière qui pendent, la poche à paquet à pansement qui sert pour le tabac, deux à l'intérieur de la capote, devant ; les deux poches extérieures de chaque côté avec patte. Trois dans le pantalon et même trois et demi, parce qu'il y a la pochette de devant.
– J'y mets une boussole, dit Farfadet.
– Moi, mon rabiot d'amadou.
– Moi, dit Tirloir, un tit sifflet qu'ma femme m'a envoyé en m'disant comme ça : « Si t'es blessé dans la bataille, tu sifîleras pour que les camarades viennent t'sauver la vie. »
On rit de la phrase naïve.
Tulacque intervient, indulgent, et dit à Tirloir :
– Ça sait pas c'que c'est qu'la guerre, à l'arrière. Si tu voulais parler de l'arrière, c'est toi qui en dirais des
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