Le Fils de Pardaillan
pouvait en être autrement d’ailleurs, puisque vous aviez bien voulu vous charger d’elle. Je devrais vous remercier… et je ne trouve pas de parole assez éloquente pour vous exprimer ma gratitude.
– Laissons cela, dit Pardaillan en haussant les épaules. Avouez que vous êtes intrigué… Vous vous demandez comment j’ai pu pénétrer dans cette cave qui n’a pas d’issue apparente… Vous vous demandez comment j’ai pu voir confectionner votre omelette – qui était excellente, soit dit par parenthèse –, vous vous demandez enfin comment j’ai pu savoir que vous étiez ici.
– C’est vrai, monsieur, avoua Jehan avec cette franchise si remarquable chez lui. Mais j’attendais qu’il vous plût de nous le dire.
Pardaillan approuva doucement de la tête et au lieu de la réponse attendue, il posa brusquement une question :
– Comment comptiez-vous sortir d’ici ?
Jehan commençait à connaître les manières bizarres et quelque peu déconcertantes du chevalier. Il ne sourcilla pas et répondit :
– De la manière la plus simple du monde : vous savez sans doute qu’un escalier se trouve sous le gibet ?
– Je sais.
– Je comptais passer par là.
– Mais le gibet est à moitié démoli. En ouvrant la trappe vous risquiez d’être écrasé par les matériaux accumulés dessus.
– Sans doute… C’était un risque à courir. J’aurais pris mes précautions, du reste.
– Et vous auriez passé, je n’en doute pas. N’importe, il vaut mieux que je sois venu. Le chemin que je vous indiquerai sera plus sûr que celui que vous voulez prendre, n’en connaissant pas d’autre.
Alors seulement, Pardaillan raconta comment, après avoir quitté les deux jeunes filles, il avait eu la curiosité de monter jusqu’à l’abbaye pour savoir si le jeune homme avait pu fuir par le chemin qu’il lui avait indiqué, et comment il avait appris l’algarade sur la place du gibet.
Il ne dit mot de sa rencontre avec Saêtta. Il ne dit pas davantage comment il connaissait si bien ces souterrains ignorés de tout le monde.
– Je pensais bien, dit-il en terminant, que vous trouveriez toujours le moyen de sortir. Mais j’ai réfléchi que vous auriez peut-être besoin de revenir ici… Vous ne trouverez nulle part une retraite aussi sûre que cette cave.
– Mais, monsieur, fit naïvement Jehan, je ne vois pas pourquoi je me terrerais comme un renard ?
– Croyez-vous donc qu’on vous laissera tranquille quand on saura que vous êtes vivant ?
– Oh ! je sais bien que je n’en ai pas fini avec Concini !…
– Il ne s’agit pas de Concini, interrompit Pardaillan, il s’agit du roi !
– Le roi ?… Je ne comprends pas. Je n’ai commis aucun crime. Pardaillan le considéra de son œil perçant. Il paraissait très sincère.
– A votre point de vue et au mien, reprit-il, vous avez défendu votre peau. Et c’est légitime.
– Je suis bien aise de vous l’entendre dire, monsieur, fit Jehan doucement.
– Mais, continua imperturbablement Pardaillan, au point de vue de ceux qui nous régissent, vous avez commis un crime. Une fois déjà, le roi vous a pardonné votre révolte. Cette fois-ci, il ne pardonnera pas, soyez-en bien persuadé. D’autant que vous avez tué un capitaine et dix soldats à M. de Sully, qui n’est pas tendre… Sans compter M me de Montmartre, sur les terres de laquelle vous avez commis des violences inouïes. Si bien que, dans cette affaire, vous aurez toutes les autorités contre vous et que soldats, gens de police, gens de justice et religieux vont se mettre à vos trousses comme chiens à la piste et ne vous lâcheront que lorsqu’ils vous auront happé et broyé.
– Diable !… Je n’avais pas pensé à cela, moi !
A voir le flegme avec lequel Jehan venait de prononcer ces paroles, on eût pu croire que tout ce que Pardaillan venait de lui dire ne le concernait pas. Il était trop intelligent cependant pour ne pas comprendre qu’il avait dit vrai, sans exagérer. Mais peut-être avait-il son idée.
Carcagne, Escargasse et Gringaille, qui écoutaient sans mot dire, avaient très bien compris, eux. Ils voyaient, dans un avenir très rapproché, se dresser de belles potences munies de cordes neuves, au bout desquelles, complices du rebelle, ils se balanceraient mollement, suspendus par le col, la langue pendante. Cette évocation, on le conçoit, les rendit plutôt moroses.
Pardaillan se rendit compte que ses paroles
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