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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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peut-être, car son amour l’avait choisi.
    — Mon Dieu ! fit-elle. C’est encore plus grave que je ne pensais.
    Et, toute la nuit, en entretenant le feu qui devait brûler jusqu’à ce que revienne le jour afin que les âmes pussent s’y chauffer, Rozenn demeura assise sur la pierre de l’âtre, écoutant le glas qui, lui aussi, devait sonner jusqu’au jour et priant, au fond de son cœur simple, pour que Dieu eût pitié de Gilles et ne lui rendît pas l’épreuve trop cruelle.
    — Il est si jeune ! répétait-elle tout bas. Si jeune ! Il ne saura pas souffrir…
    1 .  Sorte de ver de sable.

CHAPITRE II
    L’HOMME DE NANTES
    Situé dans le faubourg d’Auray, hors des murailles de Vannes, le collège Saint-Yves, jadis fondé par la Compagnie de Jésus, n’avait rien d’un lieu de délices. C’étaient, autour d’une immense cour encombrée d’herbes folles et de graviers, des bâtiments sévères et plutôt délabrés auxquels leur situation, en contrebas de la cour, valait de recueillir, les jours de pluie, toutes les eaux de ruissellement qui transformaient les classes en autant de marécages. Dans un coin, une tour carrée, le « Barbin » servait de local disciplinaire et tenait suffisamment de place pour ne pas se laisser oublier. Quant aux classes, dallées de pierres branlantes, elles étaient meublées de chaires élevées qui avaient au moins l’avantage de mettre les professeurs au sec, et de bancs de bois sur lesquels les élèves s’alignaient, leur écritoire sur les genoux. Ils y gelaient l’hiver et quand, les jours de pluie, le concierge oubliait de jeter de la paille, ils y marinaient les pieds dans l’eau.
    On y apprenait le français, les mathématiques, la physique, l’histoire et la géographie à doses modestes et le latin à doses massives. La discipline y était rude, les idées étroites et sévèrement contrôlées. Pour avoir, un jour, ramassé dans la rue et glissé dans ses livres un fragment de gazette, Gilles avait subi vingt coups de « discipline » et une heure de prières à genoux sur les dalles de la chapelle.
    Gilles retrouva tout cela sans joie, avec cependant un curieux sentiment de sécurité. Entre les murs lépreux de Saint-Yves résonnant des phrases ronflantes de Cicéron ou des maximes de l’Ecclésiaste, l’image provocante de Judith s’estompait dans les brumes dont s’enveloppent les personnages de légende. Elle semblait appartenir au monde mystérieux des étangs et des arbres, à ce peuple immatériel dont les formes légères hantaient la proche forêt de Paimpont, l’antique Brocéliande. Elle était une fée aperçue dans un songe, elle était Morgane, elle était Viviane… elle n’était plus tout à fait Judith et c’était autant de gagné pour la tranquillité d’esprit du garçon.
    Quant aux études, on ne pouvait dire qu’il leur fût solidement attaché. Passionné d’histoire, de géographie et de sciences naturelles, il était cependant mal noté à cause de l’aversion irrémédiable qu’il portait au sacro-saint latin. À cause aussi d’un caractère à la fois téméraire et indépendant que ses maîtres ne considéraient pas sans une certaine inquiétude. En dehors de cela, il ne détestait pas les lettres. Quant aux mathématiques, il les fréquentait comme des relations utiles mais que l’on ne tient pas à voir trop souvent. En résumé, il était un élève très moyen et sur lequel les pères de Saint-Yves ne comptaient nullement pour porter au pinacle la réputation de leur collège.
    Il retrouva aussi la petite chambre qu’il occupait habituellement rue Saint-Gwenael chez une vieille demoiselle, qui, moyennant une modeste rétribution, lui assurait le gîte et un couvert peu abondant 1 . Ledit gîte consistait en une pièce exiguë, mal meublée, sans rideaux ni tapis mais dont la haute fenêtre et les lambris poussiéreux avaient de la noblesse. En outre, dans sa cheminée, Gilles pouvait, l’hiver, faire griller des châtaignes afin d’apaiser un appétit rarement satisfait par les soupes trop claires de sa logeuse. Et puis, il s’y sentait chez lui, bien plus que chez sa mère car il y était seul avec ses rêves et les pauvres trésors qui constituaient ses biens propres : quelques vêtements d’une simplicité déprimante, quelques objets de toilette, des coquillages et des pierres bizarres ramassés durant ses courses à travers les grèves et la campagne. Des livres aussi, ceux que

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