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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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déplaisante. Mais il ne pouvait refuser sans offenser un hôte qui semblait, à tout prendre, plutôt bien disposé envers ses invités forcés.
    Moitié sous la pompe moitié sous l’averse, il fit une toilette rapide et revint juste à temps pour prendre place à table, au bout réservé aux hommes. À l’autre extrémité, Sitapanoki et Gunilla, installées de part et d’autre de Mariekje, s’efforçaient de garder les yeux ouverts et luttaient de leur mieux contre le sommeil. Jakob van Baren le remarqua.
    — Nourris ces malheureuses, femme, ordonna-t-il. Puis envoie-les dormir au grenier. Elles ne tiennent plus debout. Les hommes dormiront dans la grange.
    Il marmotta une prière parfaitement inintelligible dans laquelle Gilles s’efforça en vain de démêler quelques paroles familières puis se mit en devoir, car la nuit tombait rapidement, d’allumer une nauséabonde lampe à huile qu’il pendit à un crochet au-dessus de la table.
    Pendant ce temps, sa femme s’efforçait de faire manger Sitapanoki et Gunilla mais elles étaient trop exténuées pour avoir vraiment envie de nourriture. Elles acceptèrent seulement un peu de lait et des petits pains de maïs tout juste sortis du four puis demandèrent la permission de se retirer. Mariekje, alors, mit le souper des hommes sur la table et disparut avec les deux femmes.
    À la grande surprise des garçons, ledit souper était succulent. Il comportait des concombres marinés, de grosses truites de torrent roulées dans la farine de maïs et rôties à la poêle et une immense tarte aux airelles qui avait dû cuire en compagnie des petits pains. Le tout arrosé de bière fraîche et de thé bouillant.
    Les trois hommes mangèrent en silence. Gilles avait si faim qu’il se sentait capable d’avaler tout ce qu’il voyait, la table y compris, mais il avait en Tim un redoutable concurrent. Le jeune Américain mangeait comme si ce devait être la dernière fois avant la traversée d’un désert immense mais tout en absorbant de prodigieuses quantités de nourriture, il gardait au front un pli soucieux qui ne laissait pas d’intriguer son ami. Quand Tim faisait cette tête-là, c’est que quelque chose le tracassait et Gilles n’arrivait pas à deviner ce que cela pouvait être.
    La dernière bouchée avalée, Jakob van Baren marmotta d’autres grâces tout aussi inintelligibles, épousseta sa barbe puis, se levant de table, invita ses hôtes à prendre place sur le banc près de la cheminée et alla chercher une longue pipe en terre qu’il se mit à bourrer de tabac.
    — Maintenant que nos corps ont reçu ce dont ils avaient besoin, fit-il avec cette espèce de solennité onctueuse qu’il mettait dans ses paroles comme dans ses plus modestes gestes, il faut contenter nos âmes, frères, en essayant de nous connaître mieux. Un Français est un animal rare, dans nos montagnes. Dis-moi un peu comment toi et ton ami êtes venus jusqu’ici ? Qui sont ces femmes qui vous accompagnent ? L’Indienne, surtout, n’a pas l’air d’une squaw ordinaire.
    L’œil de granit pesait sur Gilles et le jeune homme ouvrait déjà la bouche pour répondre quand Tim, avec un rien de précipitation, lui coupa la parole.
    — Nous sommes des prisonniers évadés. Au cours d’une expédition de chasse dans les Catskill nous avons été capturés par les Sénécas. Ils s’apprêtaient à nous mettre à mort mais nous avons réussi à leur échapper grâce à la fille blonde qui est avec nous. Elle était leur esclave. Elle a pu couper nos liens tandis que nous étions attachés, pour la nuit, au poteau de torture.
    — Et… l’autre ? L’Indienne ?
    Tim haussa les épaules d’un air résigné.
    — Elle avait tout vu. Elle nous a demandé de l’emmener sous peine d’ameuter le camp. À sa manière, c’était une captive, elle aussi…
    — Mais pas une esclave. Elle est beaucoup trop belle et…
    — Je n’ai pas à connaître ses raisons, coupa Tim avec dans la voix un rien d’agacement. Elle a voulu venir, je ne sais que ça !…
    Les yeux rétrécis de Gilles allaient de l’un à l’autre : de Tim tassé sur son banc et qui semblait lui aussi lutter contre la fatigue à Jakob Van Baren, debout contre le manteau de la cheminée dont les flammes rougissaient son long nez et roussissaient la barbe. Il y avait dans leur dialogue quelque chose de tendu. Tim avait réussi à effacer de son front le pli de tout à l’heure mais Gilles sentit en

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