Le Gerfaut
vingt-quatre heures que la brouille s’était installée entre eux… Les conversations étaient rares d’ailleurs car, tout au long du jour on n’entendait guère que Tim, qui de temps en temps mâchonnait entre ses dents.
— On traîne, on traîne !… Si seulement on pouvait aller plus vite…
Possédé par la même hâte, Gilles préférait se taire mais la pensée de ce qui pouvait, à chaque minute, se passer à West Point ne le quittait pas…
Le chemin qu’ils suivaient grimpait à travers bois quand, sans autre préavis qu’une chaleur grandissante, un furieux coup de tonnerre éclata sur leurs têtes. Ce fut comme un signal : de véritables trombes d’eau s’abattirent aussitôt si violentes qu’elles traversèrent en un instant la voûte légère des branches et des feuilles, inondant inexorablement les quatre voyageurs qui, sans presque avoir eu le temps de respirer, furent trempés jusqu’aux os.
— Il faut trouver un abri, hurla Tim dans la bourrasque. C’est le vent d’est et quand l’orage se forme sur les montagnes qui bordent l’Hudson, comme celui-là, il dure rarement moins de deux jours.
— Un abri ? fit Gilles en écho. Où veux-tu que nous le trouvions ? Nous sommes en plein désert.
— Certainement pas puisqu’il y a un chemin tracé. Et, tout à l’heure, quand nous avons franchi l’épaule de la montagne, il m’a semblé apercevoir une petite fumée dans la direction que nous suivons. Courons avant que le chemin ne devienne un bourbier infranchissable. De toute façon, il faudra nous arrêter. La nuit va venir et avec ce temps nous ne pourrons plus avancer.
Il donna l’exemple. Gunilla comme une mécanique bien réglée lui emboîta le pas aussitôt mais Sitapanoki était moins endurcie à la fatigue que son ancienne esclave. Non seulement elle ne suivit pas mais elle parut se tasser sur elle-même. Ses jambes vacillèrent. Immédiatement Gilles fut près d’elle.
— Tu n’en peux plus ! Je vais t’aider…
Elle se redressa comme si un serpent l’avait piquée, le fusilla du regard.
— Non ! Je n’ai pas besoin de toi.
Elle s’efforça d’aller plus vite mais en fut incapable. Dans la figure tannée de Gilles ses lèvres se retroussèrent en un sourire féroce.
— Et nous, nous n’avons pas besoin que tu nous mettes encore en retard.
Enlevant la jeune femme dans ses bras, il se mit à courir sur les traces de son ami sans même s’apercevoir du poids supplémentaire, tant il était heureux de sa petite victoire. Elle représentait cependant une manière d’exploit car Sitapanoki, la mine offensée, se garda bien de glisser ses bras autour du cou de sa monture improvisée et les garda farouchement croisés sur sa poitrine. Mais, heureusement, la fumée qu’avait aperçue Tim n’était pas loin.
À la corne du bois, une petite ferme s’appuyait à une masse rocheuse, non loin d’un trou creusé dans la montagne et dont les étais en troncs de sapin annonçaient une mine.
La maison était basse, trapue et grise avec une petite galerie de bois sous un auvent. Sous l’averse, elle avait l’air d’un fantôme de maison mais un mince filet de fumée fusait encore, courageusement, de sa cheminée. À l’approche des fugitifs, un chien aboya, quelque part et presque simultanément un homme, abrité sous une bâche, déboucha de la mine, se dirigeant vers la maison. La vue des fugitifs l’arrêta net et il leur fit face.
Son parapluie improvisé empêchait de distinguer nettement ses traits mais il était visiblement taillé sur le même patron que Tim. Quant à la voix qui sortit de sous la bâche, elle avait des résonances caverneuses.
— La paix soit avec vous ! proféra-t-elle comme s’il s’agissait d’une déclaration de guerre. Qu’est-ce qui vous amène par ici ?
— Le Ciel qui se prend pour une cascade, répondit Tim. Accordez-nous l’abri un moment, si cette maison est la vôtre : il y a des femmes avec nous.
— Et aussi des Indiens à ce que je vois ! fit l’homme qui n’avait pas bougé et dont les pieds semblaient enracinés dans la boue jusqu’au jugement dernier.
— Vous avez déjà vu des Indiens blonds ? grogna Gilles. On s’habille avec ce qu’on trouve dans certains cas. Moi je suis Français… et Breton. Quant à cette femme… oh ! et puis en voilà assez ! On s’abritera, que ça vous plaise ou non.
Escaladant d’un saut la petite véranda, il y déposa son fardeau avant de
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