Le Gerfaut
car c’est à cela que reviendrait une fuite avec toi.
— Tu dis que tu m’aimes, fit-elle amèrement, et quand je t’offre de te donner toute ma vie, tu dis que je suis folle. Je l’ai été, sans doute, de me donner à toi… à toi qui acceptes calmement mon retour auprès de mon époux.
Rapide comme une couleuvre, elle glissa du lit, s’étirant comme une chatte dans la lumière mourante du feu.
— Qui te dit que je l’accepte ? soupira Gilles qui l’observait redressé sur les oreillers. Mais je ne vois aucun moyen de l’empêcher sans me déshonorer !
Elle ne répondit pas et même ne parut pas entendre ses paroles. Le regard agrandi, fixant les braises comme si elle y apercevait d’étranges images, elle murmura, comme pour elle-même :
— Sagoyewatha ne me punira pas car il croira les paroles du Grand Chef Blanc mais peut-être ne voudra-t-il plus de moi pour épouse ?… ma vie sera alors misérable. Il me faudra le reconquérir peut-être et, pour cela, lui donner bien plus d’amour encore que je ne t’en ai jamais donné…
Et doucement, d’une voix de confidence elle se mit à décrire comme pour elle-même et avec une affolante précision les caresses dont il lui faudrait faire usage. C’était un murmure léger, une sorte d’incantation sensuelle, un récit d’une puissante poésie charnelle qui chargea l’atmosphère d’électricité comme si elle eût été seule. En même temps, ses longues mains brunes lissaient rêveusement ses hanches, remontant vers les seins qu’elles emprisonnèrent.
Gilles crut soudain la voir entre les bras de l’Indien, sauta du lit et voulut s’emparer d’elle. Mais elle le repoussa avec colère…
— Tu es encore là ? Qu’attends-tu pour t’en aller ? Je me suis trompée en t’accueillant ce soir et tu m’as fait comprendre mon erreur. Je ne dois plus penser qu’à mon époux. Va-t’en…
— Pourquoi te fâcher ? Ne peux-tu comprendre ?
— Rien ! Je ne peux rien comprendre sinon ceci : l’homme auquel j’appartiens doit m’appartenir lui aussi. Tu n’acceptes pas, je ne suis plus à toi…
— Mais enfin raisonne un peu ! Ce que tu demandes est grave et tu devrais le comprendre. Quel homme parmi les tiens accepterait ainsi, en une minute, d’abandonner ses armes, ses frères, son devoir, sa race pour s’enfuir avec l’épouse d’un autre ? Il y a peut-être une solution mais laisse-moi au moins le temps d’y réfléchir. Tu ne pars pas demain !
Imperceptiblement, il s’était approché d’elle, l’attirait contre lui et, cette fois, elle ne se défendit qu’à peine. Au bout d’un moment, elle se mit à rire et lui offrit ses lèvres.
— Tu as raison… mais vois-tu, je t’aime tant déjà que je ne peux même plus imaginer de me séparer de toi dans l’avenir…
— Moi aussi, je t’aime. Est-ce que tu ne l’as pas encore compris ? Comment pourrais-je vivre sans toi ?
Elle se blottit contre lui, l’épousant de chaque pouce de son corps tandis que ses hanches, très doucement, commençaient à onduler.
— Alors prouve-le-moi encore ! souffla-t-elle. Le jour va bientôt se lever… et les heures seront si longues jusqu’à ce soir…
En quittant la chambre tiède, une heure plus tard, pour plonger dans le froid humide du petit matin, Gilles se sentait l’âme d’un conquérant et en oubliait de raisonner. Il avait eu une peine infinie à s’arracher des bras de Sitapanoki. La dernière capitulation de la belle Indienne l’emplissait d’un orgueil démesuré car elle s’était faite infiniment douce et même humble pour qu’il lui pardonne d’avoir osé prétendre le détourner de ses devoirs de guerrier. Durant cette dernière heure, elle l’avait comblé de caresses et de baisers dont le souvenir collait à sa peau tandis que, sifflotant une marche guerrière, il regagnait le cœur du village, les jambes un peu molles mais la tête ensoleillée. La nuit qui venait de s’écouler avait définitivement effacé en lui les dernières traces de l’adolescence car l’amant d’une femme telle que Sitapanoki ne pouvait être qu’un homme véritable.
Il ne devina même pas la mince silhouette blanche, immobile et désolée derrière l’une des fenêtres noires de la maison Gibson, qui l’avait regardé franchir la haie d’un bond avec des yeux pleins de larmes…
Toute la journée, le lieutenant Goëlo expédia son travail avec un certain automatisme et un
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