Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
Vom Netzwerk:
des dispositions pour la toilette et la veillée et nous rentrons…
    Une heure plus tard, après avoir confié la dépouille mortelle à la Confrérie des Trépassés, le parrain et le filleul se retrouvaient face à face de part et d’autre de la table de la cuisine où Katell leur servit de grandes écuelles de bouillie d’avoine, du cidre chaud et même une omelette surgie comme par miracle du fond mystérieux de ses réserves, avant de se retirer sous le manteau de la cheminée avec son tricot.
    Pendant un moment, ils mangèrent en silence. Gilles, le nez dans son écuelle, dévorait, tout en luttant contre le sommeil. Sa longue course à cheval, dont il commençait à sentir les courbatures, les émotions de cette journée, l’heure tardive, tout cela pesait lourdement sur ses épaules. Il ne désirait plus qu’une chose, une fois qu’il aurait apaisé les cris de son estomac : dormir, plonger au plus profond de cet oubli bienfaisant qu’est le sommeil de la jeunesse.
    L’Abbé attendit qu’il eût avalé sa dernière goutte de cidre puis demanda, tout doucement, comme s’il poursuivait une conversation déjà engagée.
    — Depuis quand la connais-tu ?
    Gilles ne releva pas les yeux.
    — Si vous faites allusion à Mlle de Saint-Mélaine, Monsieur, sachez… que je ne la connais pas, fit-il amèrement. Vous oubliez qui je suis ! Un bâtard ne peut se permettre de se compter au nombre des « connaissances » d’une noble demoiselle. Disons… que je l’ai rencontrée… deux fois. Et que ces deux fois ont suffi pour que je n’ignore pas le rang où elle place un garçon tel que moi : dans l’antichambre ! Avec les valets ! Encore ceux-ci ont-ils, à ses yeux, la fortune de jouir d’une naissance régulière. Moi, je ne suis rien.
    L’Abbé eut un geste d’impatience.
    — N’exagère pas ! Ton grand-père et ta mère ne méritent pas ce mépris. Avant son malheur, lui était un homme de bien, un homme de valeur même. Quant à elle, c’est une âme austère, impitoyable si tu veux, mais plus noble au fond que beaucoup.
    — Et mon père ? Pourquoi ne parlez-vous pas de lui ? Pourquoi n’en parlez-vous jamais ?
    — Mon pauvre enfant ! Pour une raison bien simple : je n’ai jamais su son nom ! Mais quand j’entends ta voix amère, quand tu te ravales au niveau des valets encore qu’ils soient créatures de Dieu tout comme les autres hommes, je pense que tu fais injure aux tiens et à toi-même. Une naissance irrégulière est un malheur, ce n’est pas un crime.
    — Allez dire ça aux gens de la Ville-Close, aux parents de mes camarades de collège… et à Mlle de Saint-Mélaine ! Ils vous feront connaître leur sentiment touchant les bâtards. Nous ne sommes rien et nous n’avons droit à rien… sinon à accepter humblement le destin que l’on voudra bien nous tolérer. Ils sont loin, les temps bénis du Moyen Âge où un bâtard vivait la même existence que ses demi-frères.
    — Les voies de Dieu sont impénétrables ! Quant à Judith, bien que née, elle n’a pas plus de droit que toi à choisir son sort. Moins encore peut-être car elle est pauvre. Elle n’est pas plus faite que toi pour être religieuse, pourtant elle le sera car je ne vois pas, pour elle, d’autre solution maintenant que son père n’est plus.
    — Le couvent ? Pour quelle raison ? Elle a des frères à ce que l’on dit…
    L’Abbé quitta sa place, alla prendre, sur le manteau de la cheminée, une longue pipe et un pot de tabac qu’il rapporta sur la table.
    — Si fait ! Il lui reste des frères… malheureusement ! Tu n’as jamais vu Tudal et Morvan de Saint-Mélaine, sinon tu comprendrais ce que je veux dire. Ce sont des corps frustes habités par des âmes obscures, difficilement pénétrables. Quant au cœur, je crois bien qu’ils en manquent totalement. La façon dont ils ont chassé leur père et leur sœur après la mort de leur mère a été proprement scandaleuse. Quant à leur façon de vivre actuellement… on la connaît mal. Mais des bruits bizarres tournent autour de leur domaine du Fresne. Les gens des La Bourdonnaye, dont les terres sont voisines, prétendent que ni pour or ni pour argent un paysan des environs n’accepterait d’approcher le Fresne après la tombée de la nuit.
    — Que font-ils donc ?
    — Je n’en sais rien. Et d’ailleurs ce ne sont que des on-dit. Mais la rumeur prétend que ni la bourse des hommes ni l’honneur des filles

Weitere Kostenlose Bücher