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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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souffle quand un doigt de granit gris se dressa sur l’horizon : le clocher de son village. Alors, obliquant sur la droite, il plongea dans un chemin creux bordé d’ajoncs géants au bout duquel se cachait la maison maternelle.
    Il franchit la barrière d’un bond, traversa le clos sans ralentir son allure, atteignit la porte basse qui s’ouvrit sous sa main impatiente. Une haute forme noire se retourna, lui fit face. Sa mère était devant lui… mais le cri de surprise qui s’éleva du fond de la pièce, ce n’était pas elle qui l’avait poussé.
    Un instant, ils se dévisagèrent sans parler, lui s’étonnant de la trouver si pâle et plus petite que dans son souvenir de l’automne précédent, elle avec une sorte de concentration stupéfaite comme si, par le simple jeu de sa volonté, elle avait pu faire disparaître l’image importune qui se dressait devant elle. Enfin, elle parla d’une voix mate et froide infiniment plus frappante qu’un cri de colère :
    — Que viens-tu faire ici ?
    — Vous parler, ma mère.
    — Je n’ai rien à te dire et je n’ai pas le temps de t’écouter. Retourne au séminaire d’où l’on n’aurait jamais dû permettre que tu sortes.
    — On ne m’a rien permis. Je me suis enfui avant que l’on ne m’y conduise. Et même si ce que j’ai à vous dire vous fait perdre du temps, je vous demande de m’écouter.
    Les paroles étaient respectueuses mais le ton si ferme que Marie-Jeanne Goëlo fronça les sourcils.
    — Tu t’es enfui ! dis-tu ? Quelle audace !… Eh bien, tu rentreras et tu subiras le châtiment que tu mérites. Voilà tout. Laisse-moi passer ! J’ai à me rendre à l’église et à saluer le recteur Seveno avant mon départ…
    Mais, loin de livrer passage, Gilles écarta les bras pour l’interdire davantage. En même temps son regard faisait un rapide tour de la grande pièce familière où, en effet, tout était dans un ordre insolite, effleura Rozenn tapie contre l’un des lits clos et habillée pour sortir et revint se poser sur l’étroit visage maternel qui, dans l’encadrement noir de la mante à capuchon semblait ciselé dans l’ivoire. C’était celui d’une femme sans âge dont il fallait faire effort pour se souvenir qu’elle n’avait pas trente-quatre ans. Seuls les yeux sombres, très beaux et ourlés de cils épais, avaient encore de la jeunesse. Tout le reste possédait cette teinte amortie des choses que l’on a tenues enfermées trop longtemps.
    — Ainsi, vous partez ? dit-il enfin. Puis-je vous demander où vous allez ?… et combien durera votre absence ?
    — Toujours ! Je vais à Locmaria, au couvent des Bénédictines où l’on m’attend car je ne veux plus rien savoir de la terre ni des hommes. Maintenant que tu sais, partiras-tu ?
    Il hocha la tête négativement puis, avant même qu’elle ait pu s’en défendre, il la prit par le bras, la mena près de la table et l’obligea à s’asseoir sur un banc. Elle obéit machinalement, subjuguée malgré elle par cette autorité nouvelle que son fils montrait. Mais Gilles ne s’assit pas. Conscient d’avoir au moins l’avantage de sa haute taille, il croisa les bras sur sa poitrine et considéra sa mère.
    — Ainsi, fit-il doucement mais avec une douleur dont il ne fut pas maître, vous alliez vous séparer de moi, votre fils, pour toujours et cela sans un adieu, sans un regret, sans même me revoir ? Quelle mère êtes-vous donc, à la fin ?
    — Je n’ai pas choisi d’être mère. On me l’a imposé. Aucun forçat n’aime son boulet !… riposta-t-elle durement.
    La brutalité des paroles frappa le jeune homme. Comme un boulet ! Voilà tout ce qu’il représentait pour cette femme qu’il ne pouvait s’empêcher d’aimer envers et contre tout. Jamais encore il ne s’était senti aussi seul, aussi misérablement abandonné. Une boule se noua dans sa gorge contre laquelle il lutta, sachant qu’elle se dissoudrait en larmes… et il ne voulait pas pleurer.
    Marie-Jeanne, cependant, avait baissé les yeux. Elle examinait le bout de ses doigts qui sortaient des mitaines de fil noir tandis que, dépassant le bord de sa robe, le bout de son pied s’agitait, trahissant son impatience. Gilles, alors, soupira dans l’espoir de desserrer l’étau qui lui serrait la poitrine.
    — Eh bien !… je vous remercie de me l’avoir dit. Ainsi donc… et puisque, si j’ai bien compris, vous ne m’avez jamais considéré comme votre

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