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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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vous a envoyé tout à l’heure ! coupa Noailles en tapant sur l’épaule du jeune enthousiaste. Le Général est un homme précis qui déteste en bloc la fantaisie et le retard. Quant à mes souvenirs, nous avons devant nous de longs jours de mer, nous aurons tout le temps ! Filez, maintenant… Jusqu’à ce que nous mettions à la voile vous n’aurez plus beaucoup de loisirs. Le Général voudrait partir dans deux jours mais si nous sommes partis dans douze nous pourrons nous estimer heureux.
    Gilles découvrit bien vite que Noailles n’avait rien exagéré et qu’un travail accablant l’attendait qui dépasserait de beaucoup le simple courrier du général en chef. Levé aux aurores, il dut partager son temps entre Rochambeau qui faisait continuellement la navette des vaisseaux aux casernes trop petites où s’empilaient les régiments et l’Intendant de l’Armée, M. de Tarlé à qui le général le prêtait obligeamment à cause de sa vitesse de compréhension et qui était partout à la fois, car il avait à réunir dans le port de Brest tout ce qui était nécessaire à une armée en campagne.
    Dans sa candeur naïve, Gilles s’était imaginé qu’un embarquement pour la guerre était une chose de pure beauté : dans des uniformes tout neufs hérissés d’armes étincelantes on grimpait à bord de grands navires aussi beaux que des châteaux de rêve, on hissait les voiles et l’on s’envolait vers la gloire dans le poudroiement du soleil et le fracas des cloches. Il découvrit bientôt que, pour en arriver à cette minute sublime, il fallait se livrer à un travail de bénédictin, aussi peu glorieux que possible dans la poussière des sacs de farine et dans l’air confiné des magasins où il fallait disputer aux rats aussi bien les pièces de drap que les tonneaux de porc salé. Il découvrit qu’une escadre était une sorte de dragon à plusieurs têtes dans le ventre duquel on n’en finissait pas d’enfourner vivres et munitions sans compter une foule de choses hétéroclites qui allaient du vin de messe à des vaches et à des cageots de poulets. Il n’était pas le page empanaché d’un hautain chevalier complètement détaché des sordides nécessités terrestres, il était tout bêtement le marmiton de Gargantua.
    Alors, un registre ou un rouleau de papiers sous le bras, il galopa des bureaux de l’Intendance aux Entrepôts où s’entassaient par milliers les couvertures, les chemises, les paires de souliers, les outils de tout genre, les batteries de cuisine, la farine, le lard, le riz, l’huile, le vin, la viande salée, les choux, les pois secs, les raves, etc., aux quais de la Penfeld où l’on préparait fébrilement les bateaux qui allaient emporter tout cela et qui n’étaient même pas encore au complet.
    Une activité intense régnait à l’Arsenal, à la corderie, à la poulinerie, aux forges dont les grandes flammes éclairaient les nuits, aux toileries et dans tous les ateliers chargés d’armer les navires dont certains étaient encore aux bassins de radoub. Les équipes d’ouvriers ou de bagnards, doublées, travaillaient jour et nuit. Le jour sous la pluie qui ne cessait pas et la nuit à la lumière des chandelles quand elles ne s’éteignaient pas. Et Gilles exténué et un rien déçu avait tout de même l’impression d’assister à la naissance d’un géant ; Brest était en train d’accoucher d’une flotte et d’une aventure.
    De temps en temps, alors qu’assis à une petite table dans la grand-chambre de poupe du Duc de Bourgogne il écrivait, sous la dictée du Général l’une des nombreuses lettres dont il couvrait le prince de Montbarrey, ministre de la Guerre, il apercevait le groupe brillant des six aides de camp 1 parmi lesquels Noailles et Fersen. Mais si le jeune vicomte trouvait toujours un mot aimable, un encouragement pour lui, le beau Suédois semblait le reconnaître à peine et sans le moindre plaisir. Peut-être avait-il encore sur le cœur le vol du cheval ?…
    Il répondait à son salut par un signe de tête distrait sans s’occuper autrement de lui. Il avait d’ailleurs la réputation d’un homme froid, plutôt distant, volontiers distrait comme s’il poursuivait un rêve intérieur. Il se mêlait peu aux bavardages de ses compagnons qui, lorsque les grands chefs avaient tourné les talons, s’en donnaient à cœur joie. Et le parfum frivole des potins de Versailles envahissait alors l’austère décor du

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