Le Gerfaut
j’ai mes quartiers. On vous y logera. Installez-vous et, à deux heures de relevée, venez me rejoindre à bord du vaisseau Duc de Bourgogne . Nous aurons à travailler… Allez, monsieur !
Un instant plus tard, Gilles, encore étourdi de sa chance, se retrouvait sur le palier du grand escalier. Il était si heureux qu’il se sentait des ailes.
Tellement même qu’emporté par son élan, il alla se jeter directement dans les bras du jeune Noailles qui, sur ledit palier, faisait les cent pas, attendant visiblement quelque chose.
— Eh là ! protesta celui-ci en riant. Un peu de modération, que diantre ! Vous voilà bien pressé, il me semble ?
Rouge, tout à la fois, de joie et de confusion en constatant qu’il avait failli renverser son ange gardien, Gilles s’efforça de retrouver son équilibre pour saluer.
— Oh, Monsieur le Vicomte ! s’écria-t-il, je vous fais toutes mes excuses. Je ne vous avais pas vu.
— Je crois bien ! Vous ne voyiez rien du tout ! Vous chargiez comme un Tartare du maréchal de Saxe à Fontenoy. On dirait que tout va bien pour vous ?
— Magnifiquement ! Grâce à vous ! Ah ! Monsieur le Vicomte, que de gratitude je vous dois. Me voici agréé comme secrétaire par M. le comte de Rochambeau. Et logé par-dessus le marché.
— Vous m’en voyez ravi. Mais n’exagérez pas mon rôle, je n’ai fait qu’avancer votre nom, rien de plus. Si vous avez été accepté, c’est que vous vous êtes montré capable de remplir ce poste et que vous avez su plaire. J’en suis enchanté. Eh bien, nous allons donc, de compagnie, courir, sus à l’Anglais ! Je crois que vous aurez là des occasions, rares, de changer votre condition.
— Je l’espère de tout mon cœur. Mais… accepterez-vous de mettre un comble à vos bienfaits en répondant à une question ?
Noailles se mit à rire.
— Oh ! Mes bienfaits ! Vous me faites trop d’honneur. Je ne suis pas bon, jeune homme. Je suis même mauvais comme la gale quand je m’y mets. Cependant dites toujours…
Gilles planta son regard droit dans les yeux du vicomte.
— Pourquoi m’avoir aidé ? articula-t-il nettement. La façon dont nous avons lié connaissance ne plaidait guère en ma faveur : j’ai volé le cheval de votre ami. En outre, je ne suis ni de votre rang ni de votre monde. Je n’ai pas la moindre qualité…
— Le rang cela s’acquiert, coupa Noailles sérieusement. Le monde, on y entre. Quant à la qualité, si je sais lire sur un visage, et je me flatte d’être d’une certaine force à cet exercice, je crois que vous n’en manquez pas autant que vous le croyez et que vous ferez honneur à mon jugement. Et puis…
— Et puis ?
— Eh bien ! vous avez manifesté une si touchante vénération envers ce bon La Fayette que j’ai eu envie de lui amener, sur place un si vigoureux partisan. Il n’en a pas tellement et vous êtes même le premier que je rencontre d’aussi spontané. Peste ! Un garçon qui fuit son collège et vole un cheval pour le rejoindre ! Gilbert en sera fou de joie.
Dans son honnêteté native, Gilles faillit rectifier, dire qu’au fond, dans cette affaire, la Fayette n’avait pas été son unique mobile mais il se retint. Et puis les paroles du vicomte venaient de lui apprendre qu’il appelait le héros par son prénom.
— Vous l’appelez Gilbert ? fit-il avec un respect nouveau car, pour lui, le nom de Noailles ne signifiait pas grand-chose. Est-ce que vous le connaissez donc si bien ?
Cette fois, le Vicomte éclata de rire.
— On voit bien que vous venez de votre province ! Mais mon cher, il est mon beau-frère, puisque nous avons épousé les deux filles de mon oncle d’Ayen ! Et je constate avec douleur, ajouta-t-il avec une grimace comique, que mes modestes efforts n’ont pas eu, sur la jeunesse bretonne, le même retentissement que les siens ! Vous rêviez de lui mais vous ignoriez totalement, n’est-ce pas, que je me faisais tanner le cuir à la Grenade sous M. d’Estaing tandis qu’il courtisait les Insurgents ? Oh ! la gloire est une maîtresse bien capricieuse. Il est vrai que moi je n’étais pas tout seul.
Gilles crut que le ciel s’ouvrait : son sauveur était un héros.
— Vous étiez ? Oh ! Monsieur le Vicomte, je ne vous quitte plus ! Je m’attache à vos pas pour que vous me disiez tout ce que vous avez vécu là-bas. Je vais…
— Vous allez vous dépêcher d’aller tout droit où votre chef
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