Le glaive de l'archange
aussi bien.
— De plus, vos cheveux ne sont pas bruns, poursuivit-il avec entêtement. Ils ont la couleur des blés en août, celle des feuilles de hêtre en novembre. Ma jument a une robe brune, vos cheveux sont dorés, ajouta-t-il en rougissant mais sans cesser d’affronter son regard.
— Je me souviens fort bien de votre jument. Elle a une robe charmante, en effet. Mais dites-moi, honnêtement et sans hésitation, si vous aimiez ou non Doña Sanxia de Baltier. Je tiens à le savoir.
À ce moment, l’honnêteté semblait la plus importante qualité au monde.
— Pendant un instant fulgurant, dit-il lentement, je l’ai aimée. Jusqu’au jour où j’ai compris qu’à ses yeux j’étais moins précieux que la blanchisseuse capable de laver la robe de soie à laquelle elle tenait tant. Elle a ensuite joué avec ma vie et mon honneur. Non, après ce premier instant, je ne l’ai pas aimée. Et j’ai grande honte d’avoir pu un jour éprouver pareil sentiment.
L’étrange et envoûtante créature assise à côté de lui sourit.
— J’en suis très heureuse, dit-elle. Je m’intéressais à votre jugement. Mais aimez-vous quelqu’un d’autre ?
— Dame Isabel, vous devez connaître la réponse à cette question.
— Non. Du moins je n’en suis pas sûre. Mais je dois me marier, paraît-il, et à moins d’épouser quelqu’un que j’aime, je devrai rejoindre dame Elicsenda au couvent de Sant Daniel. Préféreriez-vous me voir au couvent jusqu’à la fin de mes jours ? Je n’épouserai personne d’autre.
— Je vous demande pardon ?
— Est-ce la réponse à une honnête proposition de mariage, Don Tomas ? Prendrez-vous une coupe de vin avec moi ?
Ses doigts tremblants saisirent la coupe : le liquide se renversa un peu.
Il la prit de ses mains souillées de vin et but.
CHAPITRE XIX
Lundi 30 juin 1353
Une foule joyeuse s’était rassemblée sur la place des Apôtres pour dire adieu à son roi et à son héritier. Il y avait là bien des gens qui, sans femmes ni enfants, s’étaient retrouvés dans la nuit du samedi avec l’espoir d’assister au renversement du monarque. Don Pedro sourit et adressa un signe de la main à la populace. Don Arnau et ses officiers demeuraient tendus : ils guettaient le moindre signe de changement d’humeur de la part des habitants de Gérone, et leurs montures et eux-mêmes étaient prêts à intervenir au moindre incident.
Rebecca descendit les marches, tenant par la main l’infant excité. Elle allait enfin pouvoir retrouver son mari et son propre enfant. Une nouvelle robe et d’innombrables babioles précieuses, voilà ce que représentait la bourse bien remplie que lui avait octroyée Sa Majesté. Elle serra l’infant dans ses bras, lui dit – machinalement – d’être un gentil garçon et le confia à un officier qui l’installa sur l’étalon de son père. Il se cala sur la selle, devant le roi, le visage radieux.
— Au revoir, Becca, dit-il avec un signe de la main.
L’escorte royale quitta la ville pour ses quartiers d’été.
Privée de la décapitation d’un noble traître, la foule dut se contenter de la pendaison d’un relieur et d’un valet d’écurie, et des poignées de pièces d’argent qui, jetées par les compagnons du roi, firent courir les enfants – et plusieurs parents – à quatre pattes sur les pavés.
Tout le monde reconnut que c’était une superbe journée.
L’abbesse Elicsenda revint au couvent après une brève discussion avec le roi et Berenguer au sujet du mariage de dame Isabel. Il aurait lieu dès que les détails de l’accord seraient mis au point, jetés sur le papier et signés. Ce problème serait bientôt réglé. L’air las et un peu triste, elle se tenait devant la porte de son cabinet.
— Agnete, dit dame Elicsenda, pourriez-vous m’accorder un instant ? J’aimerais vous parler.
— Oui, ma mère, répondit Sor Agnete. Certainement. Dois-je apporter les registres de comptes ?
— Pas encore. Nous verrons cela une autre fois.
La vieille religieuse suivit l’abbesse dans son cabinet.
— Asseyez-vous, Agnete. J’aimerais vous rendre ceci, dit-elle en déposant sur la table un petit livre à la sombre reliure. On l’a trouvé samedi. Je pense qu’il vous appartient. Votre nom y est écrit.
— Oh, merci ! fit Sor Agnete en s’en emparant. Je l’ai cherché partout. C’est un présent de mon père. Il m’est très précieux.
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