Le glaive de l'archange
conseil municipal et de l’Église, tout cela parce qu’ils ne tirent pas assez d’argent des affaires de la ville ou de celles du clergé. Ils se sont rencontrés une fois par mois dans la taverne de Rodrigue pour manger, boire, se plaindre et parler de pétitions.
— Vous étiez donc au courant ? demanda dame Elicsenda.
— J’ai honte de vous répondre que non. Mais à l’époque, ils n’étaient dangereux pour personne. Ils se contentaient de réclamer que l’on fasse quelque chose pour les enrichir et de dépenser leurs sous à la taverne. Puis Castellbo, Romeu et les deux autres arrivèrent de Barcelone. Ils les montèrent contre le roi et les aidèrent à recruter d’autres parasites. C’est alors que le groupe a attiré notre attention, mais vous savez la suite. Les hommes venus de Barcelone étaient des agents du tendre frère de Sa Majesté, Don Fernando. Ils ont fait de Castellbo le Glaive…
— Y avait-il un Glaive avant leur venue ? l’interrompit Isaac.
— Non. Pour ces gens, le Glaive n’était pas une personne, mais un groupe chargé de protéger la ville, ainsi que saint Michel l’a lui-même protégée, lui qui défend aussi les cieux. Mais Castellbo et ses amis ont dû décider qu’il était plus facile de rallier les masses autour d’un seul personnage.
— Le gros Johan a insisté sur le fait qu’il n’y avait pas de Glaive. Je ne l’ai pas cru. Je ne lui ai pas rendu justice.
— Ils avaient l’intention d’attirer ici Sa Majesté en enlevant l’infant, et leur but était de les tuer tous – le roi, la reine et le petit prince.
— L’enlèvement de dame Isabel n’avait donc rien à voir avec eux ? demanda l’abbesse.
— Je crois que dame Isabel était la récompense promise à Montbui s’il entrait dans le complot, expliqua Isaac.
— Mais leur chance a tourné, dit Berenguer. Bien que ma pauvre Isabel fût tout près d’être sacrifiée sur l’autel de l’ambition royale de son oncle.
— La chance n’a rien à voir là-dedans, affirma l’abbesse. Sa Majesté et toute sa famille sont placées sous la protection spéciale de saint Daniel, et nous prions chaque jour pour eux. Que pourrait Don Fernando contre cela ?
— Que pourrait-il, en effet ? dit l’évêque. Venez, maître Isaac. Je vais vous raccompagner, votre fille et vous, jusqu’à la porte du Call. J’aimerais discuter de quelque chose avec vous.
— Vous reverrai-je un jour, Raquel ? demanda dame Isabel.
— Cela me paraît impossible, madame, dit Raquel en prenant les mains d’Isabel dans les siennes. Mais nos vies ont connu de si étranges tours dernièrement que je ne peux jurer de rien. Quand partez-vous pour Valence ?
— Dans une semaine. Mon oncle doit nous marier lundi, je pense, puis nous nous rendrons à Barcelone après la cérémonie. Oh, Raquel, fit-elle dans un murmure, je ne puis attendre plus longtemps. Je respire à peine chaque fois que je pense à lui ! Quand il a touché ma main, j’ai cru défaillir. J’éprouve tant d’amour pour lui ! Que ferais-je si quelque chose venait contrecarrer notre union ?
— Rien ne vous empêchera de vous marier, dit Raquel en lâchant ses mains. Mon père en est sûr – et il sait toujours ce genre de chose.
Elle lui sourit.
— Je vous envie. Je me demande si j’éprouverai un jour le même sentiment.
— J’en suis certaine, affirma Isabel avec la ferveur d’une nouvelle convertie.
— Pas moi. Ma sœur Rebecca était toujours amoureuse. Elle est tombée amoureuse de notre cousin Benjamin, qui est mort de la peste. Six mois plus tard, alors qu’elle aidait papa, elle a rencontré un scribe qui souffrait des fièvres et s’est follement éprise de lui. Seulement, il est chrétien, et cela a posé de terribles problèmes. Un an après, elle s’enfuyait avec lui. Maman refuse de les voir, elle, son mari et leur enfant. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un pour qui je pourrais faire cela. Mais je dis des bêtises, et je vous prie de m’en excuser. Je suis très heureuse pour vous. Don Tomas est l’homme le plus doux, le plus aimable et le plus noble que j’aie jamais rencontré. Vous vous méritez mutuellement. Vous me manquerez, dame Isabel.
— Oh, Raquel, vous aussi, vous me manquerez ! Pourquoi ne pas venir à Valence pour y être mon amie et mon médecin ?
— Je ne puis laisser papa, madame.
Ses yeux s’emplirent de larmes.
— Je dois partir, à présent.
Dame
Weitere Kostenlose Bücher