Le glaive de l'archange
le mariage a été annulé, ajouta-t-il avec un sourire méprisant.
Bien entendu, tout cela n’était que le fruit de son imagination, mais il avait mis beaucoup d’autorité dans ses propos et n’avait nullement envie de chevaucher en pleine nuit pour réveiller un prêtre.
Montbui déambulait dans la pièce.
— À l’aube, alors, dit-il. Tu réveilleras le prêtre à l’aube. Il faudra que ta femme réveille la dame et qu’elle l’habille. Nous la porterons à l’autel si besoin est.
Castanya était une petite jument vigoureuse au pied sûr, et elle arriva à la finca à peine essoufflée. Un voile de transpiration assombrissait sa robe. Tomas la fit mettre au pas et s’approcha prudemment de la propriété.
La bâtisse était de taille modeste, peu haute et très paisible. Trop paisible. Un chien somnolait au soleil à l’est du corps de bâtiment. Il se leva, s’étira, aboya pour prévenir la maisonnée qu’un étranger et son cheval venaient d’arriver, puis, une fois son devoir accompli, il se réinstalla confortablement. En dehors de cela, il n’y avait aucun signe de vie. Les volets étaient fermés et les portes verrouillées. Tomas sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Il était persuadé que Montbui amènerait ici les jeunes femmes. Il mit pied à terre et chercha le moindre signe de vie, ainsi que de l’eau pour son cheval.
Le tableau était plus animé derrière la maison. Une exquise senteur d’agneau rôti s’échappait d’une fenêtre. Une robuste femme étendait du linge sur des branches, aidée en cela par un garçon d’une douzaine d’années.
— Bonjour, Ana, dit-il simplement. Comment vas-tu ?
La femme se retourna, un peu étonnée, avant d’ébaucher une révérence.
— Don Tomas ! Nous vous attendions.
— Quoi ?
— Oui, avec l’enfant. Seulement…
— Oh oui, j’en suis désolé.
— C’est inutile. Ce n’est pas vous qui lui avez tranché la gorge, dit la femme.
— Non, ce n’est pas moi.
Il regarda autour de lui.
— Tu as eu d’autres visiteurs ?
— Vous voulez dire Don Perico ? Est-ce que vous êtes un ami de Sa Seigneurie ?
Tomas allait proclamer son amitié indéfectible pour le petit homme quand il remarqua l’expression du visage de la femme.
— Pas du tout, dit-il d’une voix ferme. J’ai quelques raisons de croire qu’il s’est emparé, contre leur gré, de deux jeunes dames qu’il était de mon devoir d’escorter jusqu’à Gérone.
— Et il va en épouser une incessamment, dit la femme d’un air sombre. C’est son repas de noce que je prépare.
La scène qui se déroulait dans l’église, un peu plus loin sur la route, était des plus curieuses. Devant l’autel, le fiancé au visage rougeaud suait abondamment et jetait des regards méchants alentour. À côté de lui, la promise au visage livide était assise sur une chaise que lui avait hâtivement procurée le valet de Montbui. Raquel se tenait auprès de dame Isabel, lui glissant parfois un mot à l’oreille et écoutant soigneusement ses réponses. Il manquait deux personnes parmi celles qui assistent habituellement à une cérémonie de mariage : un homme ayant autorité de donner la jeune fille, et un prêtre pour bénir l’union.
Soudain, pareil au Vésuve, Montbui explosa :
— Où est cet imbécile de prêtre ? rugit-il.
Son cri résonna dans la petite église et ne réussit qu’à faire couiner quelques chauves-souris.
La porte ouest s’ouvrit non pas sur un prêtre, mais sur l’intendant de Doña Sanxia qui faisait office de Cupidon, le messager de l’amour.
— Nous avons quelque difficulté à réveiller le père Pau, dit-il.
— Quoi ?
— On ne peut pas le sortir de son lit.
— Et pourquoi cela ? Il est mort ? Dans ce cas-là, trouves-en un autre.
— Il n’y en a pas, messire. Pas dans les environs, en tout cas. Et puis le père Pau n’est pas mort, il dort, c’est tout.
— Tu n’as qu’à lui verser de l’eau sur la tête, dit Montbui d’une voix qui s’élevait dangereusement. Fais ce qu’il faut. Qu’est-ce qui lui arrive ? pensa-t-il enfin à demander.
— Il a un peu trop honoré son saint patron. Il est… euh… fatigué.
— Dis-lui qu’il pourra dormir après le mariage. Pas maintenant.
L’intendant hocha la tête avec un semblant de respect et repartit, le sourire aux lèvres.
— J’ai faim, murmura dame Isabel. Rien que pour avoir à manger, j’en
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