Le glaive de l'archange
viendrais presque à épouser ce répugnant vieillard.
— Vous êtes d’une pâleur très convaincante, dit Raquel.
— Je ne puis supporter l’absence de nourriture. La faim provoque toujours chez moi des évanouissements. Je me demande ce qui est arrivé au prêtre.
— Il est peut-être encore trop ivre pour vous marier, fit observer Raquel.
— Je l’espère.
Sur ce, la porte ouest s’ouvrit à nouveau, et l’intendant entra, traînant derrière lui un pauvre hère en soutane noire.
— Voici le père Pau, dit-il avec l’air d’un bateleur qui exhibe un diable peint au milieu d’un décor infernal.
Le père Pau était maigre et pas rasé. Il avait les yeux rouges, et ses cheveux humides lui collaient à la peau du crâne. De l’eau coulait sur ses joues et sur son nez. Il éternua de façon pathétique et s’essuya le visage du revers de la main. On aurait dit qu’il voulait parler mais avait des difficultés à faire jaillir des sons de sa bouche. Des bouffées d’alcool précédaient les deux hommes alors qu’ils se dirigeaient vers l’autel. De toute évidence il était encore saoul – magnifiquement, désespérément saoul. Isabel eut un large sourire et dut abaisser son voile pour dissimuler son plaisir.
— Donnez-moi la main, que je monte cette marche, fit le prêtre avant de tituber et de s’écrouler sur Montbui. Merci. Maintenant… prenez sa main, messire.
Il se saisit de la main de Raquel et essaya de la faire passer par-dessus la tête de dame Isabel pour la tendre à un Montbui muet de fureur.
— Ce n’est pas cette femme, espèce d’ivrogne ! hurla-t-il enfin. Je ne veux pas épouser celle-là !
Le père Pau posa un regard humide sur la promise.
— Dans ce cas, il faudra revenir quand vous aurez la femme que vous avez choisie. Je ne peux pas célébrer le mariage si la fiancée n’est pas là…
Sa voix s’éteignit. Ses yeux se posèrent sur les stalles.
— D’ailleurs, ça vaudrait mieux. Je suis trop fatigué, trop fatigué…
Là-dessus, il s’écroula sur les stalles et son ronflement sonore emplit l’église.
Perico de Montbui se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire quand la porte ouest s’ouvrit pour la troisième fois et qu’une voix cria :
— Sauve qui peut ! Le roi arrive avec cinquante chevaux, Don Perico, il en veut à vos jours !
C’était Tomas de Bellmunt, couvert de boue et de poussière, haletant, et il s’appuya contre la porte, apparemment épuisé.
La première à réagir fut dame Isabel. Avec un cri de terreur, elle s’effondra à terre, comme morte. Quand Raquel s’agenouilla auprès d’elle sur le froid dallage de l’église, sa patiente inconsciente lui souffla :
— Évanouissez-vous, Raquel. Ils auront plus de mal à nous porter toutes les deux !
Et Raquel s’écroula sur le corps d’Isabel.
Montbui voulut relever celle qu’il désirait pour épouse, vit les corps entremêlés et jura. Il se tourna vers la porte ouest, reconnut Bellmunt et eut immédiatement des soupçons.
— Qu’est-ce que c’est que cette…
Il fut interrompu par un bruit de pieds nus qui claquaient sur les dalles.
— Monseigneur, cria le jeune garçon de la finca qui avait abandonné l’étendage du linge, monseigneur, un groupe de soldats fouille la propriété en ce moment même ! Ils vont bientôt venir par ici. La maîtresse m’a envoyé vous prévenir. Ils ont demandé où vous étiez et où se trouvait la dame. L’homme qui les conduit a dit être son père. La maîtresse a dit de vous sauver, monseigneur, aussi vite que vous le pourrez. J’ai emprunté un cheval pour vous prévenir…
— Cela suffit, mon garçon, lui souffla Tomas.
— Va chercher les chevaux ! commanda Montbui à son sbire. Les nôtres.
— Et les deux dames ?
— Qu’elles rejoignent leurs parents en enfer ! cria Montbui en se précipitant hors de l’église.
Dame Isabel et Raquel se relevèrent lentement. Don Tomas marcha vers l’autel, réprimant à peine le désir de courir. Le prêtre, quant à lui, ronflait paisiblement. Tout était pour le mieux.
Le repas de mariage hâtivement préparé pour Don Perico de Montbui et sa femme ne fut pas jeté aux gorets. Un groupe plus petit mais plus joyeux était assis à l’ombre des arbres devant une table chargée de truites grasses, poulets farcis d’herbes, de noix et d’abricots séchés, agneau rôti aux oignons et à l’ail, jambon, fromages, fruits et
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