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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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que ce sentiment fût
de prime filial, il ne manqua pas de changer, et pour elle et pour lui, quand
apparurent les rondeurs qui faisaient d’elle une femme. Mais ce ne fut pas là, lecteur,
un caprice de maître, car cet attachement dura et grandit, tant est que Margot
devint à la longue la maîtresse de maison. Elle portait dès lors, non le
cotillon court, mais le vertugadin, et mon père lui donna, en outre, un
précepteur qui lui apprit en peu de temps à lire et à parler un français que
bien de nos pimpésouées de cour eussent pu lui envier.
    Je ne sais combien de temps nous demeurâmes ainsi avant
qu’apparût sur le seuil de l’huis, joufflue, mamelue, fessue et bien fendue de
gueule, Mariette, notre cuisinière. D’une voix forte, mais les pleurs coulant
sur ses joues, gros comme des pois, elle nous dit que ce n’était pas le tout de
pleurer le pauvre Monsieur le marquis, le meilleur maître qui fut jamais, mais
qu’il fallait aussi nourrir la pauvre bête, si on ne voulait pas à notre tour
dépérir et périr. Qu’elle était bien assurée que Monsieur le marquis, du haut
de son paradis, voudrait que ses derniers hôtes mangeassent à sa table une
dernière fois, et que toute perdue de pleurs qu’elle était, elle avait cuisiné
pour nous une soupe bien épaisse, que c’était là son métier et que c’était à
nous de faire le nôtre en la mangeant. Je me levai alors et ceux qui étaient là
me suivant, je passai à table, et à peine fus-je assis que je vis Margot sise à
mon côté, ce qui n’était guère protocolaire, mais que je tolérai, la voyant si
perdue et si désemparée. Je lui dis à l’oreille de sécher ses pleurs, et comme
elle était sans mouchoir, je lui prêtai le mien qu’elle passa sur ses joues
toutes chaffourrées de larmes. Après quoi elle me dit d’une voix éteinte :
    — Mais qu’est-ce que le bon Dieu va bien faire de moi,
maintenant que j’ai perdu le meilleur maître qui fut au monde ? Où peux-je
aller, meshui, sans pain ni toit ?
    — Mais chez moi, bien sûr, dis-je, dans le chaud du
moment et sans réfléchir plus outre.
    Et certes, lecteur, ce fut là un geste charitable et qui me
venait du cœur. Mais comme la suite bien le montra, ce n’était peut-être pas
une très bonne idée.

 
CHAPITRE VI
    Propre, prompte, policée, Margot fit merveille en notre
emploi. Elle conquit nos chambrières par sa serviabilité, n’hésitant jamais à
prêter main-forte à quiconque était débordé dans sa tâche.
    En outre, le fait qu’elle « parlât la langue des
maîtres », et non point le baragouin de la plupart de nos valets et
chambrières, ajoutait à son prestige. Cette gloire, toutefois, n’éblouissait
point ses yeux. Elle resta toujours simple et gentille. Avec le maggiordomo ,
avec Catherine, avec moi-même, elle était toute politesse et obéissance.
    Malgré tout cela, les choses se gâtèrent pour les raisons
qu’elle était femme, et Catherine aussi. Quand Margot me disait
naïvement : « Ah, Monseigneur ! Comme vous ressemblez à Monsieur
votre père », je trouvais la remarque touchante, mais que pouvait conclure
Catherine, sinon qu’ayant adoré mon père, elle reportait sur moi cette
adoration. Et lorsque me versant du vin dans mon gobelet à table, son tétin
frôlait mon épaule, c’est à peine si je le remarquais, mais ce frôlement
n’échappait pas au regard aigu de Catherine.
    Toutefois, pour l’instant, elle ne disait rien, accumulant
sans doute les indices que je ne remarquais même pas, et qui m’eussent paru
insignifiants, si je les avais observés.
    Cependant, l’orage, ayant au fil des jours et des nuits
accumulé ses forces, creva tout soudain et l’aimable babil du matin se changea
en réquisitoire.
    — Monsieur, dit Catherine de but en blanc, je quiers de
vous de bailler sans retard son congé à cette fille.
    — Quelle fille ?
    — Margot.
    — Margot ! m’écriai-je, tombant des nues,
Margot ! Mais c’est la meilleure de nos chambrières !
    — En effet, dit Catherine, mais là n’est pas le point.
Cette fille fait votre siège, et je ne le puis souffrir.
    — Elle fait mon siège ! m’écriai-je, béant.
M’amie, où prenez-vous cela ? Elle est avec moi comme avec vous, aimable
et même affectueuse, marquant ainsi la gratitude qu’elle nous doit de l’avoir
recueillie céans après la mort de mon père.
    — Babillebahou, Monsieur ! Vous avez à l’ordinaire
beaucoup

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