Le Glaive Et Les Amours
le cardinal ou le roi ?
— Nenni. Ils sont trop occupés. Ils se querellent.
— Dieu bon ! Ils se querellent ! Et
savez-vous pourquoi ?
— Toute la Cour apparemment le sait, sauf moi, qui suis
sourd, la Dieu merci, et la plupart du temps, muet.
Là-dessus nous rîmes et, non sans une ultime brassée, nous
nous quittâmes. Toutefois, dès que j’eus tourné le dos, mon rire se changea en
grimace, me trouvant fort marmiteux et dépiteux à l’idée de quitter Catherine
et mes enfantelets, pour Dieu sait combien de jours et de semaines en pays
froidureux.
Sur le retour, je ne laissai pas toutefois d’aller visiter
dans son appartement du Louvre la princesse de Guéméné dans l’espoir que sa
douceur et son extrême gentillesse pussent me rebiscouler. Je la trouvai
pimplochée à ravir, mais non encore peignée par ses chambrières, ce qui
m’adoucit fort, car ses cheveux longs et soyeux tombaient sur ses épaules en un
flot délicieux.
Comme elle me tournait le dos, je ne la voyais que dans son
miroir, et comme j’étais assis derrière elle sur une chaire à bras, elle ne me
voyait, elle aussi, que par mon reflet. Je lui fis d’entrée de jeu de grands
compliments sur ses cheveux dénoués, qu’elle accueillit avec un silence royal,
comme si ces compliments n’étaient que son dû.
— Et vous, en revanche, mon cousin, dit-elle à la
parfin, je vous trouve, en ces matines, triste et tracasseux.
Elle n’était nullement ma cousine et ne m’appelait ainsi que
par gentillesse, étant née Rohan.
— C’est que, Madame, je pars dans deux jours pour la
Lorraine.
— Eh bien ! N’êtes-vous pas fier de tirer l’épée
pour punir aux côtés de votre roi ces traîtres lorrains ?
— Nenni. Nenni. Je ne tirerai pas l’épée, et je ne
tuerai personne, la Dieu merci. Je serai dans cette campagne le truchement du
roi.
— Mais c’est un honneur !
— Et aussi un tracas ! Je ne sais jamais si je
vais entendre le baragouin de l’ennemi, lequel change d’une ville à l’autre.
— Et j’imagine aussi que c’est grand dol pour vous de
quitter votre charmante épouse et vos enfantelets.
— Il est vrai. Ma cousine, si vous me permettez de
passer du coq à l’âne, Catherine voudrait vous présenter requête : elle
veut congédier une excellente chambrière et ayant ouï que vous en cherchiez
une, elle aimerait vous la recommander.
— Dieu bon ! La chambrière est excellente et
Catherine la veut congédier ! Que cache cette contradiction ?
— Rien qu’une inquiétude : la caillette est fort
accorte et admirant fort son maître, il lui arrive de le frôler.
— Et Catherine ne vous croit pas capable de résister à
ces frôlements ?
— C’est cela.
— En fait, mon cousin, dites la vérité. Le
pourriez-vous ?
— Ma cousine, êtes-vous mon confesseur devenue, que
vous voudriez sonder mon âme ?
— La Dieu merci, dit-elle avec un grand rire, il ne
s’agit pas de votre âme, mon cousin. Je ne vise pas si haut.
À quoi elle rit et moi aussi. « Dieu bon !
m’apensai-je, qui eût jamais imaginé que la princesse de Guéméné, issue d’une
des plus hautes familles protestantes du royaume, prendrait plaisir à des
plaisanteries de corps de garde. »
Là-dessus, on toqua à l’huis de sa chambre, et sur l’entrant
de la princesse apparut son maggiordomo, accompagné de deux valets qui
portaient le déjeuner de leur maîtresse, laquelle, se remettant incontinent
assise sur son lit, le dos appuyé contre deux coussins de soie, allongea ses
longues jambes pour qu’on pût placer dessus un plateau de vivres, lesquels,
lecteur, eussent nourri plantureusement une famille de cinq personnes, et que
Madame de Guéméné en quelques minutes engloutit goulardement en son entièreté.
Il est vrai que grande cavalière, grande nageuse, et grande marcheuse, il lui
fallait beaucoup de vivres pour nourrir son grand corps. Je n’ignore pas,
lecteur, que tu te demandes en ton for si cette haute dame était pareillement
goulue derrière les courtines de son lit. Mais à cette question je ne saurais
répondre, car la Cour elle-même, toute mauvaise langue qu’elle fut, ne lui a
jamais prêté d’aventure ni du vivant de son mari, ni après sa mort.
— Amenez-moi demain votre Margot, dit Madame de
Guéméné, je la mettrai à l’épreuve et vous dirai ce qu’elle vaut, en soi seule
et sans les frôlements, ajouta-t-elle avec un petit rire.
Je lui fis de
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