Le Glaive Et Les Amours
grands mercis, et comme j’allais prendre congé
d’elle, je passai du coq à l’âne, et lui demandai comment il se pouvait faire
que, se mêlant si peu à la Cour, elle avait la réputation d’en connaître les
secrets.
— Mais parce qu’on me les vient dire pour savoir mon
opinion.
— Et vous donnez votre opinion ?
— Jamais. Tant est que, pour tous, je suis à la fois
une oreille accueillante, et une langue discrète.
— Puis-je, ma cousine, tester votre omniscience ?
— Mais vous le pouvez.
— Le cardinal et le roi se querellaient fortement ce
matin. Savez-vous pourquoi ?
— Oui, et cela est fort triste. Dois-je vous rappeler
que le comte de Soissons a été tué à La Marfée, gagnant la bataille contre
l’armée royale, mais perdant la vie peu après. Louis fut si outré qu’il ait
pris les armes contre lui qu’il voulait infliger à sa dépouille mortelle une
punition.
— Mais la mort n’est-elle pas une punition
suffisante ?
— Pas pour le roi. Il voulait que le corps de Soissons
ne soit pas enterré, comme il en est l’usage en sa famille, dans la nécropole
des siens à Gaillon.
« Dieu du Ciel ! s’écria-t-elle. Le roi est
implacable ! Et dire que c’est le cardinal qui passe pour tel. Parce que
sa soutane est rouge, on en conclut qu’il est sanguinaire.
C’est tout le rebours. Il plaide le plus souvent pour
l’indulgence et le pardon.
« Et c’est bien ce qu’il fit en ce prédicament, se
déclarant hostile, tout à trac, à un châtiment post mortem de Soissons.
À son sentiment, c’était là une rigueur inutile et déshonorante. Et il l’a dit
sans mâcher ses mots à Louis.
— Et Louis ?
— Il a renoncé, mais de très mauvais gré, à priver le
mort de la sépulture de ses ancêtres. Mais en même temps il a gardé très
mauvaise dent à Richelieu d’avoir eu raison une fois de plus. Tant est que les
coups de bec royaux ne vont pas manquer au cardinal dans les jours qui vont
suivre. Et cela, m’ami, me rappelle qu’en ses jeunes années Louis voulait être
appelé Louis le Juste. Et c’est vrai qu’il a toujours scrupuleusement respecté
ce vœu et réhabilité, après enquête, les personnes qu’il croyait avoir été
calomniées. Mais d’un autre côté, il s’est toujours montré implacable pour les
traîtres, et se décidant vite et roidement pour le billot et le bourreau, alors
même que Richelieu eût penché pour l’exil ou la Bastille.
— M’amie, dis-je, je me demande pourquoi diantre on ne
permet pas aux femmes d’être ministres. Vous avez tout le talent et tout le
savoir qu’il y faut.
— La grand merci à vous, beau Sire, dit Madame de
Guéméné, pour ce bel éloge. Approchez-vous, il mérite bien un baiser.
Ce fut un baiser chaste sur les deux joues, mais qui me fit
grandement plaisir tant il fut donné du bon du cœur.
Comme je saillais du Louvre pour regagner ma chacunière, la
pluie se mit à tomber à seaux, et j’en fus bien marri, car selon les règles
édictées par Richelieu, les visiteurs devaient venir au Palais, non pas en
carrosse, pour éviter les encombrements, mais à cheval avec des serviteurs. Et
comme s’il ne suffisait pas d’être sur mon cheval, trempé jusqu’aux os, je me
sentais aussi fort chaffourré d’apprendre à Catherine que j’allais accompagner
les armées du roi en Lorraine, ce qui lui donnerait aussitôt deux douloureuses
appréhensions : la première, je serais tué par balle en plein cœur dans le
premier combat. La seconde, je serais séduit à l’étape par une logeuse aussi
affamée que les deux fournaises ardentes de Suze.
À peine fus-je arrivé en mon hôtel, qu’Emmanuel et
Claire-Isabelle, devançant leur mère, se jetèrent dans mes jambes, se pressant
contre mes bottes, et y mouillèrent leurs vêtures, ce qui fit pousser des cris
d’orfraie aux deux chambrières qui en avaient la charge. Plus prudente,
Catherine me prit par la main, et se tenant à distance de moi, me retira dans
nos appartements et me donna alors tous les soins qu’on attend d’un valet, mais
avec tant de gaieté et tant de gentillesse que j’en fus en mon for très
marmiteux à la pensée du mal que j’allais lui faire en lui annonçant mon
département pour la Lorraine. Et en effet, à peine le lui eus-je dit, qu’elle
me traita de méchant, et se jetant dans mes bras, sanglota son âme. J’entrepris
alors de la rassurer en lui ramentevant que je ne serais pas parmi
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