Le Glaive Et Les Amours
trouve
Narbonne.
— Je suis tout ouïe.
— La côte méditerranéenne de Nice à Montpellier fait
face au sud, mais à Montpellier elle s’incurve fortement tant est que cette
côte fait alors face à l’est. Elle ne comporte que deux grandes villes,
Narbonne au nord et Perpignan au sud, mais sur la côte elle-même, ont poussé je
ne sais combien de petites villes ou de petits ports qui sont tout à fait
attachants. Leurs noms eux-mêmes sonnent joliment : Sigean, Leucate,
Argelès, Collioure. L’arrière-pays est fait de verts pâturages, de forêts
profondes, de montagnettes qui ne dépassent guère plus de sept cents toises et
s’adossent aux puissantes Pyrénées.
— Je présume que Louis fut heureux de s’établir en
aussi chaleureux pays.
— Chaleureux, m’amie, il ne le fut pas toujours, en
particulier lorsque, venue des Pyrénées, la tramontane soufflait sur la côte.
C’est vrai, toutefois, que cette région, étant chaude et arrosée, est généreuse
en légumes, en fruits et aussi en vin, lequel se vend pour la somme modique de
quatre sols le pot, tant est que lorsqu’il m’arrivait d’encontrer dans le camp
Monsieur de Guron, j’observais qu’il était invariablement suivi d’un valet qui
portait deux cruchons dont je ne pouvais ignorer le contenu à observer le teint
vermeil de mon ami. Pour en revenir à notre Roussillon, certes l’air embaumait,
ce qui nous changeait fort de notre puante Paris, mais quand l’été vint, il
apporta avec lui le soleil, le ciel pur, la mer bleue, mais aussi hélas !
des nuées de moustiques, engeance tout à plein inconnue à qui avait vécu
jusqu’à ce jour à Versailles. Mais plaise à toi, belle lectrice, de me laisser
revenir quelque peu en arrière.
*
* *
À Narbonne, il ne me fut pas difficile de savoir où
demeurait Richelieu – encore que son logis fût réputé secret –, car le
cardinal, au contraire du roi, était fort entiché de luxe : il me suffit
donc de demander quelle était la plus belle demeure de la ville pour savoir où
il logeait. Dès que je commençai à gravir les marches monumentales de son
palais, les mousquetaires, qui les gardaient, après m’avoir observé
attentivement, me reconnurent et me donnèrent l’entrant. Le surintendant
Bouthillier apparut alors, me donna une forte brassée et m’avertit sotto
voce que le cardinal étant fort mal allant, je ne saurais demeurer
longtemps avec lui.
— Dieu bon ! dis-je, et de quoi
souffre-t-il ?
— D’une grande plaie au bras droit qui ne veut pas guérir
et d’une forte fièvre. Fort heureusement, le révérend docteur chanoine Fogacer
est là et, chassant les médecins ignares du cardinal, a obtenu qu’on n’inflige
à Richelieu ni purgation, ni saignée. Tant est que le cardinal n’est pas encore
trop affaibli.
— Dieu bon ! dis-je. J’ignorais qu’il fut si mal
allant.
— C’est que la chose est tenue secrète, étant
considérée comme un secret d’État. L’ennemi pourrait reprendre cœur s’il savait
la vérité. Fogacer, dont vous connaissez les liens avec le nonce apostolique, a
juré de garder là-dessus bouche cousue. Pensez-vous qu’il gardera parole ?
— Je suis bien assuré que oui. Il est fort honnête
homme. Et pour moi il va sans dire que je serai là-dessus muet comme carpe.
Mais quid des ambassadeurs étrangers qui suivent la Cour dans ses
déplacements ?
— Ne pouvant tout à plein cacher la maladie de
Richelieu, nous l’avons minimisée. Nous avons répandu le bruit qu’il avait la
goutte, maladie qui n’est pas rare chez les Grands de ce monde. En outre
personne n’a la permission de le visiter, sauf ses plus fidèles serviteurs,
dont vous êtes, mon cher duc. Car vous auriez tort de penser qu’il prend du
repos : allongé et souffrant, il n’en demeure pas moins cloué sur sa tâche
gigantesque comme le martyr sur sa croix.
Là-dessus, une sonnette retentit, et Bouthillier me
dit : « Venez, c’est votre tour, le cardinal vous appelle. » Et
comme bien je m’y attendais, la chambre où j’entrai était toute dorure,
tableaux, statuettes, objets précieux. Toutefois, le cardinal, à demi allongé
sur le lit de camp, ne portait pas sa soutane rouge, qu’en raison sans doute de
l’enflure de son bras droit il ne pouvait plus supporter, mais un simple
surplis dont les larges et légères manches ne pesaient pas sur sa plaie, cette
simplicité étant relevée par une croix pectorale
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