Le Glaive Et Les Amours
mesurée à l’aune de nos péchés. Et cette punition
n’a rien à voir avec les affres d’une longue maladie. »
Et c’est bien, de reste, ce que Louis répondit à son
confesseur : « Je ne pense pas que mes souffrances présentes
allégeront mon purgatoire. Si Dieu ne me laissait que cent ans au purgatoire,
je penserais qu’il me ferait là une très grande grâce. »
J’ai souvent repensé à ces paroles de mon roi, et toujours
avec étonnement, car je ne voyais pas quelles fautes en sa vie il avait pu commettre
qui eussent justifié une peine si grave. Pouvait-on, par exemple, le blâmer
d’avoir envoyé au billot le duc de Montmorency, Cinq-Mars et de Thou, traîtres
avérés. Il n’avait fait là que défendre son royaume contre ces fauteurs de
guerre civile.
Louis avait été, sa vie durant, fidèle aux commandements
divins. Et il les suivait à la lettre sans jamais fléchir, ayant aussi un grand
souci de la justice, et si anxieux de bien faire que lorsqu’il avait
l’impression d’avoir grondé trop durement un de ses serviteurs, fut-il noble ou
non, il le rappelait à son chevet et lui donnait la main : grand honneur
assurément pour apazimer une petite gronderie.
Lecteur, plaise à toi de me permettre de revenir en mon
récit quelques pas en arrière. À mon arrivée à Saint-Germain-en-Laye, toute la
Cour était là, et tous les logis étaient pris, tant est que je ne pus trouver
gîte que dans une auberge qui était à la fois très coûteuse et fort peu
ragoûtante. Aimant le luxe comme Richelieu, ainsi que la propreté, je fus fort
malheureux dans cet affreux taudis et d’autant que je m’y sentis aussi très
seul, et très déconsolé de la mort de Richelieu et de la mortelle maladie du
roi.
Par bonheur, dans les couloirs du château de Saint-Germain,
j’encontrai – déesse descendue du ciel pour consoler les malheureux – la
princesse de Guéméné, qui m’eût, je crois, sauté au cou tout de gob, s’il n’y
avait pas eu autour de nous tant de pimpésouées caquetantes et médisantes.
Cependant, dès qu’elle me vit, la princesse s’approcha de moi d’un air
faussement distant et me tendit la main que je baisai avec émoi. Elle s’enquit
alors à voix basse de mon logement, et dès qu’elle sut ce qu’il en était, elle
me dit que possédant une maison des champs à Saint-Nom-la-Bretèche, village
fort proche de Saint-Germain, elle serait heureuse de m’y accueillir avec ma
suite.
Lecteur, n’allez pas croire, de grâce, que « la maison
des champs », dont les nobles et les riches bourgeois se prévalent, ne
soit qu’une maison de campagne, ou comme on dit en Roussillon, un mas. Ce peut
être un château, un manoir, une gentilhommière, ou une vaste ferme ennoblie
d’une tour. Celle de la princesse de Guéméné tenait, elle, du manoir. Elle
était riche de deux tours du XVI e siècle et comportait une
dizaine de chambres, et aussi, à distance convenable, une grande écurie
flanquée d’un logis pour les valets, cochers, charrons, jardiniers et
palefreniers du domaine. Cette maison des champs comportait aussi un étang fort
propre, créé à partir d’une source, la princesse étant non seulement bonne
cavalière, mais nageuse passionnée.
J’ai quelque vergogne à confesser que le tracassement que me
donnait la maladie du roi se trouva très apazimé, dès que je franchis le seuil
de cette maison des champs. Mon chagrin réveillant la tendresse de la princesse
de Guéméné, elle m’ococoulait comme seul le gentil sesso sait le faire,
dès que son cœur est touché.
Si bien je m’en ramentois, c’est le mardi vingt et un mars
que survint un incident qui, répété de proche en proche, navra toute la Cour.
Le roi ayant ce jour-là fait de grandes évacuations, il fallut enlever le drap
de dessus pour le nettoyer, tant est que le roi, voyant alors toute l’étendue
de son corps, poussa un grand soupir et dit avec tristesse : « Mon
Dieu, que je suis maigre ! »
C’était vrai, hélas. Il n’avait plus que la peau sur les os,
et avant même que de mourir, il était squelette devenu. Le même jour, il
prononça une parole qui m’étonna chez le bon chrétien qu’il avait été sa vie
durant : « Dieu sait, dit-il, que je ne suis pas ravi d’aller à
Lui. » Cependant, un peu plus tard, recevant les maréchaux de Châtillon et
de La Force, qui étaient huguenots, il les exhorta vivement à quitter leur
religion protestante et à
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