Le Glaive Et Les Amours
revenir à la religion catholique, hors laquelle,
dit-il, il n’y avait point de salut. Les deux maréchaux l’écoutèrent avec
respect, mais ni l’un ni l’autre, après sa mort, ne suivirent ses
recommandations.
Peu après, le roi confia à ses médecins qu’il priait le
Seigneur que sa mort survienne un vendredi, pour la raison que ce jour de la
semaine lui avait toujours été faste en ses batailles. Ce propos m’étonna car
un moribond qui déclarait ne pas être ravi d’aller à Dieu pouvait difficilement
considérer sa mort comme un jour faste. Par malheur, même son ultime souhait ne
fut pas exaucé. Il mourut non un vendredi, mais un jeudi, le quatorze mai 1643.
Il avait régné trente-trois ans sur la France.
*
* *
— Monsieur, un mot de grâce ! À vous lire, il
m’apparaît que vous nourrissiez pour Louis XIII la plus grande estime.
— En effet.
— Et cela m’étonne.
— Cela vous étonne, et pourquoi ?
— Parce que d’aucuns de vos contemporains le
considéraient comme un toton [34] que
Richelieu faisait tourner à sa guise.
— Mais qui étaient ces gens-là, belle lectrice ?
Les Grands, dont il avait rogné les privilèges et rasé les tours, le Parlement
qui tâchait vainement d’influencer sa politique, les dévots horrifiés par ses
alliances protestantes, les évêques de qui il avait tiré des millions d’or pour
nourrir sa guerre, et enfin cette tourbe de pimpreneaux et de pimpésouées de
cour dont l’unique métier est la médisance.
— Et quid de l’impopularité du roi auprès du
populaire ? Elle tenait sans doute aux taxes dont on l’accablait à chaque
guerre.
— Pas seulement. En tous temps le populaire a observé
avec intérêt, et dirais-je, avec délectation, les amours de son roi et de sa
reine et ses jugements en la matière étaient bien différents de ceux d’un moine
escouillé en cellule. Le populaire admirait qu’Henri IV – le Vert-Galant
– courût de cotillon en cotillon, pensant qu’à sa place il en aurait fait tout
autant, profitant au mieux de ses prérogatives royales. Mais que penser d’un
roi qui, comme Louis XIII, avait mis des semaines à parfaire son mariage
avec sa jeune et jolie épouse et, dans la suite, n’eut même pas de maîtresse,
et pas même une des accortes chambrières qui, refaisant son lit, l’eussent
volontiers défait pour lui ?
« En outre, Louis XIII, qui en ses enfances avait
bégayé et s’en était guéri, n’aimait pas parler. Il le disait lui-même :
« Je ne suis pas grand parleur. » Le populaire lui en voulait de sa
taciturnité et, quand il parlait, du peu de chaleur de son discours. Où étaient
le grand rire, le contact facile, la verve, la familiarité bon enfant, les
gausseries à l’infini et les saillies gauloises de son père ?
« Une fois, une fois seulement, le populaire avait aimé
Louis XIII. Ce fut au moment où les Espagnols et les Impériaux nous ayant
envahis menaçaient de mettre le siège devant notre capitale. Comme on sait, le
roi rassembla aux halles les ouvriers et artisans, en les incitant à prendre
les armes pour défendre leur capitale. Après ce vigoureux discours, il circula
de groupe en groupe, prenant langue avec tout un chacun, donnant aux plus
résolus des tapes sur l’épaule et même de fortes brassées. Vous avez bien ouï,
m’amie, de « fortes brassées » à des ouvriers mécaniques !
« Horresco referens [35] »,
eussent dit nos pimpésouées de cour, si elles avaient su le latin. Pour moi, je
fus ravi. Qu’était donc cette gaillarde humeur, sinon une résurgence, dans les
périls, du tempérament paternel ?
— Mais si vous le comparez à son père, comment, dès
lors, expliquer sa misogynie ?
— Mais il n’était pas misogyne le moins du monde, et il
ne devait sa timidité à l’égard du gentil sesso qu’à l’éducation
escouillante qu’il avait reçue en ses enfances de par la volonté de sa mère
qui, désirant frénétiquement qu’il ne ressemblât en rien au Vert-Galant,
l’émascula par son éducation. Les prêtres qu’elle avait choisis poussaient le
jeune roi fanatiquement dans les sentiers de l’abstinence, la méfiance et le
mépris, dès lors qu’il s’agissait de l’acte de chair.
« Par surcroît de précaution, sa mère avait mis tout
son soin à écarter de lui en ses enfances toute chambrière un peu accorte, et
le pauvret ne fut de sa vie habillé et déshabillé que par de
Weitere Kostenlose Bücher