Le Glaive Et Les Amours
pas séparer l’un de
l’autre. Ils ont ensemble conçu une tâche immense, et ensemble, ils l’ont
accomplie.
— Cette tâche immense, Monsieur, pouvez-vous m’en
toucher mot ?
— La première tâche et la plus urgente fut d’unifier le
royaume en abaissant les Grands qui se conduisaient en leurs fiefs comme des
petits rois, ne manquant jamais une occasion de se révolter contre l’autorité
royale. Ce qu’on fit. On démantela les défenses de leurs châteaux, et quand le
plus prestigieux d’entre eux, le duc de Montmorency, voulut affronter les
armées royales les armes à la main, on battit sa petite armée à Castelnaudary,
on le fit prisonnier et on l’envoya affronter le billot du bourreau.
— Que firent-ils d’autre ?
— On réorganisa l’armée. Pour la première fois on y
établit un service de santé qui prit soin des blessés et des malades. Le
paiement des soldes, qui, jusque-là, était assuré par des officiers qui
engraissaient leurs propres boursicots aux dépens de ceux des soldats, fut
assuré d’ores en avant par des intendants scrupuleux. On veilla constamment à
ce que les vivres nécessaires fussent acheminés à temps, afin qu’ils
n’allassent pas au combat l’estomac vide, ce qui assurément rognait fort leur
courage.
On fit mieux : Richelieu s’avisa un jour d’un état de
fait tout à plein scandaleux. La France jouissait d’une longue côte sur
l’Atlantique, et d’une autre non moins belle sur la Méditerranée. Elle ne
manquait ni de ports, ni de havres, ni de marins, et sa flotte marchande était
amplement suffisante à ses besoins. En revanche, elle ne possédait pas, comme
la Hollande, comme l’Angleterre et comme l’Espagne, une flotte de guerre, tant
est que n’importe quel ennemi pouvait faire incursion sur nos côtes et
s’emparer à l’improviste d’une de nos villes.
Richelieu convainquit sans peine le roi de créer une flotte
de guerre, ou plutôt deux, une sur la côte atlantique et une autre sur la côte
méditerranéenne, celle-ci comportant des galères. Le lecteur se souvient sans
doute que les galères, étant mues à main humaine par l’aviron, se trouvaient
plus fiables que les voiliers, lesquels étaient encalminés par l’absence de
vent, assez fréquent sur cette mer capricieuse où le vent souffle parfois très
fort et parfois pas du tout.
La liaison de nos deux flottes de guerre en Méditerranée
avait joué un rôle décisif dans la prise de Perpignan. Plaise à vous de me
laisser revenir sur la terre ferme et à l’histoire intérieure du royaume. Vous
vous souvenez que, si les évêques détestaient la politique anti-espagnole du
roi, le roi de son côté ne les aimait guère. Ils étaient trop bien garnis en clicailles
et vivaient, disaient-ils, comme des satrapes dans leurs beaux palais. Il
s’attaqua deux fois à eux. Il exigea vertement d’eux qu’ils contribuent de
leurs deniers à la prise de La Rochelle. Ce qu’ils firent, le couteau sur la
gorge. Avec moins de succès, hélas, il leur enjoignit de payer mieux, et plus
régulièrement, les pauvres curés de campagne.
Et il exila sans pitié les ministres dévots qui soutenaient
l’Espagne. Il rebuffa les Parlementaires qui tentaient de peser sur sa
politique. Il permit la publication de la Gazette de Théophraste
Renaudot sous réserve d’en surveiller le contenu. Sur la suggestion de
Richelieu, il fonda la Sorbonne et l’Académie : la première pour instruire
les jeunes nobles et bourgeois qui en avaient bien besoin. La seconde pour
purifier la langue française : ce qu’elle fit en l’appauvrissant. C’est à
peine si nous osions encore prononcer ces beaux mots occitans qui chantent si
bien à l’oreille et qui réchauffent le cœur.
— Monsieur, n’allez-vous rien me dire des conquêtes de
nos armes ?
— Belle lectrice, c’est une trop longue histoire pour
que j’en dise ma râtelée en deux mots. Pour votre plaisir et pour le mien, je
la réserve pour la bonne bouche.
CHAPITRE XI
Richelieu mourut le quatre décembre 1642. Sa mort réjouit fort
les Grands et les dévots, les premiers parce que le cardinal avait
considérablement rabaissé leur puissance, les seconds parce qu’ils pensaient
que Richelieu mort, le roi allait renoncer à ses alliances avec les pays
protestants et faire la paix avec l’Espagne. Cette sotte hypothèse parvint
jusqu’aux oreilles du roi, lequel rassembla son Grand Conseil et déclara
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