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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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confiance, autant il pouvait, en sa vie
privée, s’affectionner profondément à ceux qui le servaient. Rien de plus faux
que la légende de sa misogynie. Il était, tout le rebours, fort sensible aux
charmes des femmes, et s’il ne dépassa jamais avec elles le « seuil
lumineux de l’amitié », ce fut par respect pour les lois de l’Église
et assurément point par froidure de cœur à leur égard.
    Les adversaires haineux et encharnés du cardinal
prétendirent qu’à la mort de Richelieu, Louis se sentit joyeux et soulagé
d’échapper à sa tyrannie. Ces coquefredouilles prêtaient sottement au roi les
sentiments qui étaient les leurs. J’ai mille témoins pour confirmer que le roi
pleura à la mort de son « meilleur serviteur », celui qui, par son
génie, sa clairvoyance et son prodigieux labeur, l’avait aidé à hausser la
France au plus haut point de sa grandeur.
    Au château de Saint-Germain, Louis noulut loger dans la
chambre de ses enfances, mais dans celle de la reine, pour la raison que ses
fenêtres donnaient des vues fort belles sur Saint-Denis qui allait être, hélas,
sa dernière demeure. Jusqu’au trois avril, le roi tous les jours se levait, se
faisait habiller, et soutenu de dextre et de senestre par deux de ses
officiers, suivis en outre par un porteur de chaire, il faisait un tour dans
les galeries du château, s’asseyant quand et quand sur la chaire, l’air épuisé,
mais satisfait de s’être donné tout du même quelques mouvements.
    Le soir à la nuit tombante, il se faisait lire la vie des saints
ou l’ Introduction à la vie dévote de saint François de Sales. Les ayant
ouïes avec la plus grande attention, il priait lui-même à voix haute, demandant
à Sa Divine Majesté, non pas sa guérison, mais d’abréger la longueur de sa
maladie.
    Le vingt et un mars, sentant que la mort approchait, Louis
appela la reine, Gaston, le prince de Condé et les ministres d’État à se réunir
dans sa chambre. Dès qu’ils y furent, il ordonna à son maggiordomo de
déclore les courtines de son baldaquin, afin que toute la Cour pût le voir et
l’ouïr. Il demanda ensuite qu’on l’assît sur son lit en lui maintenant le dos
par des coussins et, levant sa dextre pour réclamer le silence, il promena ses
regards sur les auditeurs, et dit d’une voix claire :
    — Messieurs, ce jour d’hui, vingt et un mars, je
déclare la reine régente après ma mort.
    La reine était assise au pied du lit royal sur une chaire
dorée. Elle était pâle, défaite, les larmes coulant sur ses joues. Tous les
yeux se tournèrent vers elle, et bien qu’ils fussent très respectueux, il me
sembla que ce respect cachait mal quelque appréhension, car la reine n’avait
pas montré jusque-là beaucoup de loyauté envers le royaume dont elle était la
reine.
    Le même jour, on baptisa le dauphin dans la chapelle du
vieux château de Saint-Germain, et pour des raisons évidentes, il fut alors
appelé Louis, et non pas Louis Dieudonné, comme on l’avait appelé à sa
naissance. Je le vis de près à cette occasion et il me plut fort. Il n’avait
pas cinq ans, mais c’était un bel enfant, l’œil vif, la membrature carrée, et
fort bien fait de sa personne, la parole prompte, et se peut même un peu trop.
    — Eh bien, mon fils, dit Louis d’un air enjoué,
puisqu’on vous a baptisé ce jour, vous allez pouvoir me dire comment vous vous
nommez.
    — Louis XIV, dit le dauphin promptement.
    Cette réponse fleurait, sans doute plus qu’il n’eût voulu,
l’impertinence et nous craignîmes que le roi la prît mal. Mais tout au rebours,
Louis sourit et dit d’un air bon enfant : « Pas encore, mon
fils ! Pas encore ! » Je fus très touché que Louis, au bord de
la tombe, eût encore la force de dialoguer avec son fils avec tant d’indulgence
et de gentillesse.
    Il était fort visible pour tous que Louis ne redoutait
aucunement la mort, mais il se plaignait, par contre, amèrement de la longueur
de sa maladie. Tant est que son confesseur, le père Dinet, lui dit un soir pour
le consoler que Dieu ne nous envoyait les longues maladies que pour rogner
d’autant la durée de notre purgatoire. C’était là une interprétation très
ingénieuse, mais je doutai qu’elle fut bien orthodoxe. Je la répétai le soir
même au révérend docteur médecin chanoine Fogacer qui haussa les épaules et
dit : « Le père Dinet parle en courtisan. Le purgatoire est une
punition post mortem

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