Le grand voyage
nord, mais en proportions réparties différemment.
Les espèces qui recherchaient le froid, comme le bœuf musqué, ne s’aventuraient
jamais si loin dans le sud. En revanche, Ayla n’avait jamais tant vu de saïgas.
C’était un animal qu’on trouvait un peu partout dans les plaines, mais rarement
en si grand nombre.
Ayla s’arrêta pour observer un troupeau de ces étranges
animaux particulièrement disgracieux. Jondalar était allé explorer un bras de
rivière où des troncs d’arbres, plantés dans la rive, détonnaient. Il n’y avait
pas d’arbres de ce côté du fleuve et l’assemblage semblait significatif. Lorsqu’il
rejoignit Ayla, il la trouva songeuse.
— Je ne veux pas m’avancer, déclara-t-il, mais j’ai l’impression
que ces troncs ont été installés par le Peuple du Fleuve. Sans doute pour y
attacher un bateau. A moins que le bois n’ait été charrié par les eaux.
Ayla approuva d’un signe de tête.
— Tu as vu tous ces saïgas ? fit-elle en désignant les
steppes arides.
Les sortes d’antilopes étaient de la même couleur que la
poussière et Jondalar mit du temps avant de les apercevoir. Il distingua enfin
le contour de leurs cornes spiralées pointant légèrement en avant.
— Ils me font penser à Iza. Son totem était l’Esprit du
Saïga, expliqua la jeune femme en souriant.
Les saïgas, avec leur long nez bombé et leur drôle de démarche,
qui ne présumait pas leur étonnante rapidité, avaient toujours fait sourire
Ayla. Loup adorait les chasser, mais ils couraient si vite qu’il avait rarement
l’occasion de les approcher, en tout cas, jamais longtemps.
Ces saïgas-là semblaient raffoler des tiges d’absinthe. En
général, ils allaient par troupeau de dix ou quinze, souvent des femelles
accompagnées d’un ou deux jeunes. Certaines mères n’avaient pas plus d’un an.
Par ici, les troupeaux dépassaient cinquante têtes. Ayla se demanda où étaient
les mâles. La seule fois qu’elle en avait vu en troupeau, c’était pendant la
saison du rut, quand chacun cherchait à donner le Plaisir à un maximum de
femelles, un maximum de fois. Passé le rut, on trouvait toujours des carcasses
de mâles, comme s’ils s’étaient épuisés dans les Plaisirs et abandonnaient le
reste de l’année la rare nourriture aux femelles et à leurs petits.
Quelques bouquetins et mouflons sillonnaient les plaines,
préférant toutefois les abords escarpés des failles, que les chèvres sauvages
et les moutons escaladaient avec facilité. Le pays était parsemé d’énormes
troupeaux d’aurochs à la robe brun-rouge, parmi lesquels un nombre non
négligeable de spécimens arboraient des taches blanches, parfois assez larges.
Ayla et Jondalar virent également des daims finement mouchetés, des cerfs
communs, des bisons et de nombreux onagres. Whinney et Rapide s’intéressaient
aux mammifères herbivores, surtout aux onagres. Ils observaient les troupeaux d’ânes-chevaux
et reniflaient longuement leur crottin.
Bien entendu, les pâturages abritaient les petits rongeurs
habituels sousliks, marmottes, gerboises, hamsters, lièvres et une espèce de
porc-épic qu’Ayla voyait pour la première fois. Et les prédateurs aussi étaient
là pour réguler la population des espèces : chats sauvages, grands lynx,
lions des cavernes. Quelques hyènes perçaient le silence de leurs ricanements.
Dans les jours qui suivirent, le fleuve changea souvent de
direction – sur la rive gauche, le paysage restait le même – douces
collines verdoyantes et plaines bordées de falaises et de montagnes aux cimes
déchiquetées. Mais sur l’autre rive, le relief se diversifiait. Des affluents
creusaient des vallées encaissées, les montagnes érodées se couvraient d’arbres,
parfois jusqu’au fleuve qui serpentait en multiples méandres dans ce terrain
accidenté, obligé parfois de revenir en arrière bien que son but restât le
même : atteindre enfin la mer, à l’est.
Dans son cours tortueux, le fleuve qui coulait au devant des
voyageurs se divisa en plusieurs bras, sans toutefois créer une zone de
marécages comme sur le delta. C’était simplement un énorme fleuve scindé en plusieurs
bras parallèles et qui fécondait sur ses berges une végétation plus abondante
et une herbe plus verte.
Ayla regrettait le chœur des grenouilles, pourtant assommant,
même si les trilles flûtés de crapauds bigarrés résonnaient ici comme un
refrain dans le pot-pourri
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