Le grand voyage
les ennuyait le plus, à part la chaleur, c’étaient
les insectes. Les papillons, les abeilles, les guêpes, et même les mouches et
certains moustiques ne les dérangeaient nullement. Non, les plus agaçants
étaient de loin les plus minuscules, les moucherons. Les deux voyageurs en
étaient certes agacés, mais que dire des animaux ! Les créatures
assommantes se fourraient partout, dans les yeux, les naseaux, la bouche, dans
leur pelage touffu, et se collaient sur leur peau en sueur.
D’habitude, les chevaux des steppes émigraient au nord pendant l’été.
Leur épaisse fourrure et leur corps massif étaient adaptés au froid. Quant aux
loups qu’on trouvait aussi dans les plaines méridionales – c’était le
prédateur le plus répandu –, beaucoup ne quittaient pas les steppes du
nord, comme la bande dont était issu Loup. Les loups qui vivaient dans le sud
avaient fini par s’adapter aux conditions climatiques, été chaud et sec, hiver
aussi rigoureux que dans les steppes septentrionales mais plus neigeux. Par
exemple, ils perdaient plus volontiers leur fourrure en été, et leur langue
pendante les rafraîchissait plus efficacement.
Ayla apportait tous ses soins aux pauvres bêtes, mais ni les
baignades quotidiennes, ni ses divers remèdes ne les débarrassaient entièrement
des minuscules moucherons. La moindre blessure infectée par leurs œufs s’agrandissait
en dépit des onguents qu’elle concoctait. Loup et les chevaux perdaient leur
poil par poignées, et leur fourrure épaisse ternissait.
— J’en ai assez de cette chaleur et de ces
moucherons ! s’exclama Ayla en nettoyant une oreille blessée de Whinney
avec une lotion calmante. Quand aurons-nous un peu de fraîcheur ?
— Je te parie que tu regretteras la chaleur avant la fin du
Voyage, Ayla, rétorqua Jondalar.
Peu à peu, ils se rapprochaient des contreforts rocailleux et
des immenses pics qui longeaient le fleuve au nord, alors qu’au sud les
vieilles montagnes érodées gagnaient en altitude. Les tours et les détours des
voyageurs les avaient fait dériver légèrement vers le nord. Ils durent obliquer
alors vers le sud avant de remonter brutalement vers le nord-ouest, puis
décrire une large courbe vers le nord, et ensuite vers l’est, avant de
reprendre enfin la direction nord-est.
Jondalar n’aurait pas su dire pourquoi – il ne
relevait d’ailleurs aucun repère – mais ce paysage lui était
familier. En suivant le fleuve, ils se garantissaient d’aller vers le
nord-ouest, mais il était sûr que la Grande Mère ferait d’autres détours. Pour
la première fois depuis qu’ils avaient quitté le delta, il décida d’abandonner
la sécurité qu’offrait le fleuve et de suivre un affluent qui montait au nord
vers les contreforts des montagnes aux cimes acérées, à présent toutes proches
de la Grande Rivière Mère. Ils remontèrent donc le cours d’eau qui tournait
lentement vers le nord-est.
A l’horizon, les montagnes opéraient une jonction. Une chaîne
partant du grand arc des sommets glacés se rapprochait des montagnes
méridionales plus hautes qu’avant, plus aiguës et plus enneigées, et dont elle
n’était séparée que par une gorge étroite. La muraille septentrionale avait
autrefois retenu une mer intérieure. Au cours des millénaires, l’eau accumulée
avait, en s’écoulant, usé le calcaire, le grès et le schiste des montagnes. Le
bassin s’était peu à peu abaissé jusqu’au niveau du couloir creusé dans la
roche, et la mer avait fini par s’assécher, laissant derrière elle ce qui
deviendrait une mer d’herbe.
La Grande Rivière Mère coulait à travers des précipices de
granit cristallin. La roche volcanique, qui autrefois affleurait la pierre plus
tendre des montagnes, s’élançait en flèche de chaque côté. C’était bien le long
passage à travers les montagnes menant aux plaines méridionales et à la mer de
Beran. Jondalar savait qu’il était impossible de remonter ces gorges. Il n’y
avait pas d’autre solution que de les contourner.
14
Hormis l’absence du vaste fleuve, le paysage ressemblait à
celui qu’ils venaient de quitter : prairies arides, arbrisseaux chétifs le
long des rives – mais Ayla ressentit comme une perte. La Grande
Rivière Mère avait été leur compagne pendant si longtemps qu’elle était
déconcertée de ne plus avoir à leur côté sa présence réconfortante qui leur
traçait la route. A mesure qu’ils
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