Le grand voyage
préjugés. Elle n’avait pas honte du Clan. En
dépit de Broud et des tourments qu’il lui avait infligés, on avait pris soin d’elle,
on l’avait aimée malgré sa différence, et elle avait aimé en retour. Une
bouffée de colère l’envahit, et autant par défi que par fierté, elle décida de
ne pas renier ceux qui lui avaient prouvé leur amour.
— Ils vivent sur la péninsule de la mer de Beran,
annonça-t-elle.
— La péninsule ? Je ne savais pas qu’elle était
habitée. C’est le territoire des Têtes Plates...
Tholie s’interrompit. Était-ce possible ?
Tholie n’avait pas été la seule à deviner. Roshario avait blêmi
et observait Dolando à la dérobée, essayant sans en avoir l’air, de découvrir s’il
avait fait le rapprochement. Les noms étranges qu’Ayla avait mentionnés, si
difficiles à prononcer, étaient-ce des noms qu’elle avait donnés à des
animaux ? Pourtant, elle prétendait que la femme qui l’avait élevée lui
avait enseigné l’art de guérir. Une autre femme vivait-elle parmi eux ?
Mais une femme, experte dans les soins de surcroît, aurait-elle choisi
librement de vivre parmi ces bêtes ? Un shamud vivrait-il au milieu des
Têtes Plates ?
Ayla remarquait les étranges réactions de certains Sharamudoï,
mais le regard que lui jeta Dolando la fit trembler. Ce n’était plus le chef
qui maîtrisait si bien ses émotions, celui qui s’inquiétait pour sa compagne
avec tant de tendresse. Rien dans son regard ne témoignait d’une quelconque
reconnaissance pour les soins qu’elle avait prodigués avec tant d’éclat, ni
même de l’accueil prudent qu’il lui avait réservé à son arrivée. Non, Ayla ne
décela qu’une douleur enfouie. Une sourde colère ravageait son visage et
recouvrait ses yeux d’un voile de haine.
— Les Têtes Plates ! explosa-t-il. Tu as vécu chez ces
bêtes immondes ! Ah, si je pouvais tous les tuer de mes propres
mains ! Comment as-tu pu vivre avec eux ? Quelle est la femme qui
accepterait de vivre au milieu de monstres pareils ?
Les poings serrés, il marcha sur Ayla. Jondalar et Markeno
bondirent sur lui pour le retenir. Protégeant Roshario, Loup grognait en
montrant les crocs. Shamio se mit à pleurer, et Tholie la prit dans ses bras et
la serra contre son cœur. Dans d’autres circonstances, elle n’aurait pas eu
peur de la savoir près de Dolando. Mais l’évocation des Têtes Plates le rendait
fou furieux, et dans ces moments-là, il était capable de tout.
— Jondalar ! Comment as-tu osé amener cette femme
ici ? hurla Dolando en essayant de se libérer de l’étreinte du géant.
— Dolando ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu
dis ? intervint Roshario en voulant se lever. Elle m’a aidée ! Qu’est-ce
que ça peut te faire où elle a grandi ? Elle m’a aidée, tu m’entends !
Tous ceux qui s’étaient réunis pour fêter le retour de Jondalar
assistaient à la scène bouche bée, abasourdis. Ils ne savaient que faire.
Carlono se leva pour aider Jondalar et Markeno à maîtriser Dolando.
Ayla n’en revenait pas. La violence du chef la laissait
interdite. Elle vit Roshario tenter de se lever et repousser le loup qui lui
barrait la route, menaçant quiconque oserait approcher la blessée. Lui non plus
ne comprenait pas la cause de cette agitation soudaine, mais il était déterminé
à protéger la femme dont il estimait avoir la responsabilité. Ayla se dit qu’il
n’était pas prudent que Roshario se levât, et elle se précipita vers elle.
— Écarte-toi de ma femme ! s’écria Dolando. Ne la
touche pas avec tes sales mains.
Il luttait pour se libérer, mais les autres le retenaient
solidement. Ayla se figea, partagée entre le désir d’aider Roshario et la
crainte de décupler la rage de Dolando. Qu’est-ce qui lui prend ? s’étonnait-elle.
Elle remarqua alors que Loup allait passer à l’attaque et elle lui fit signe de
venir. Il ne manquerait plus qu’il blessât quelqu’un ! Loup était en proie
à un dilemme déchirant. Il voulait à la fois défendre sa protégée et foncer
dans la bagarre. Mais la situation était bien trop confuse. Ayla lui fit de
nouveau signe en même temps qu’elle le sifflait. Et c’est le sifflet qui le
décida. Il courut vers Ayla, et se posta devant elle en montrant les crocs.
Comme Dolando s’était exprimé en sharamudoï, Ayla avait compris
qu’il avait parlé des Têtes Plates et l’avait injuriée, mais le
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