Le grand voyage
animal, même si on n’avait jamais vu cela. Mais les femmes n’étaient pas les
seules que le récit captivait. Jondalar surveillait l’auditoire et nota que
tous étaient pendus aux lèvres d’Ayla, hommes et femmes confondus. Il admira
les talents de conteuse de sa compagne, s’apercevant qu’il était lui aussi
emporté par l’histoire, qu’il connaissait pourtant. Il l’observa plus
attentivement, essayant de comprendre ce qui rendait sa narration si
passionnante, et remarqua qu’elle ponctuait son récit de gestes imperceptibles.
Ayla n’agissait pas de la sorte consciemment, encore moins pour
rechercher un effet quelconque. Elle avait grandi dans un univers où la
communication était surtout gestuelle, et les mouvements de ses bras
accompagnaient naturellement chaque mot. Mais quand elle imita les cris d’oiseaux
et les hennissements des chevaux, son auditoire ne cacha pas sa surprise. Seule
dans sa vallée, avec les animaux pour toute compagnie, elle avait appris à
reproduire leurs cris avec une étonnante fidélité. Passé le premier choc, l’utilisation
de cris d’animaux colora son récit et lui ajouta une dimension qui enthousiasma
l’auditoire.
Le public était en haleine, notamment au moment de l’épisode du
dressage de la jument, et Tholie, impatiente de connaître la suite, avait du
mal à traduire jusqu’au bout. La jeune Mamutoï parlait couramment les deux
langues, mais ne pouvait évidemment pas reproduire le hennissement d’un cheval
ou l’appel d’un oiseau. C’était d’ailleurs inutile. L’auditoire saisissait le
sens des paroles d’Ayla, d’abord parce que les deux langues étaient proches, et
surtout grâce aux gestes expressifs qui rythmaient le récit de la jeune
étrangère. Ils attendaient la traduction de Tholie pour confirmer ce qu’ils
avaient deviné, ou comprendre ce qu’ils avaient manqué.
Comme eux, Ayla anticipait les phrases de Tholie, mais pour des
raisons différentes. Jondalar avait déjà constaté avec stupeur la vitesse avec
laquelle elle apprenait les langues, et il en était toujours à s’interroger sur
son don étonnant. Il ne pouvait pas comprendre que cette faculté provenait d’un
extraordinaire concours de circonstances. Pour trouver sa place parmi des gens
qui tenaient leur savoir des mémoires de leurs ancêtres accumulées dès leur
naissance dans des cerveaux énormes, telle une forme évoluée et consciente d’un
instinct, la fille des Autres avait été obligée de développer ses propres
capacités mnésiques [15] .
Elle s’était entraînée à mémoriser rapidement afin de ne pas passer pour une
demeurée aux yeux du Clan.
Avant d’être adoptée, Ayla avait connu une enfance normale,
parlant comme toutes les petites filles, et bien qu’elle eût perdu la plupart
de ses facultés d’expression orale en apprenant le langage inarticulé du Clan,
les fondations existaient encore. Son désir impérieux de communiquer avec
Jondalar n’avait fait qu’accélérer la redécouverte d’une capacité oubliée. Une
fois ce processus inconscient enclenché, elle n’eut qu’à le développer quand
elle dut apprendre une nouvelle langue en arrivant dans le Camp du Lion. Il lui
suffisait d’entendre un mot une fois pour le retenir. La syntaxe et la
grammaire exigeaient un peu plus de temps. Mais la, langue des Mamutoï et celle
des Sharamudoï possédaient une structure proche et de nombreux mots se
ressemblaient. Ayla écoutait attentivement la traduction de Tholie pour
perfectionner son vocabulaire.
Le récit de l’adoption du bébé cheval avait fasciné tout le
monde, mais, arrivée à l’épisode du lion des cavernes blessé, Tholie dut
demander à Ayla de répéter son histoire. Qu’on pût, poussé par la solitude,
vivre avec un herbivore, passe encore, mais avec un gigantesque
carnassier ? Un lion des cavernes parvenu à l’âge adulte atteignait
presque la taille des petits chevaux des steppes, mais il était autrement plus
massif et plus puissant. Tholie voulait savoir comment Ayla avait pu ne
serait-ce qu’envisager d’adopter un bébé lion.
— Il n’était pas bien gros quand je l’ai découvert, plus
petit qu’un jeune loup, et ce n’était qu’un bébé... et... et il était blessé,
expliqua Ayla.
Pour justifier son acte, Ayla avait comparé le lion à un
louveteau, mais tous les regards se dirigèrent sur l’énorme bête allongée près
de Roshario. Loup venait du nord, et il était de
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