Le grand voyage
point l’esprit
de Celle Qui Sert devient soudé à son peuple. Le souci du bonheur de son peuple
ne cède que devant les prérogatives de la Mère. C’est une lourde
responsabilité, équivalente à celle du chef. Celle Qui Sert la Mère devient le
guide, celle qui mène à la compréhension, à la découverte du sens caché de
toute chose. Une partie de l’enseignement consiste à acquérir le savoir qui
permettra d’interpréter les signes, les visions, les rêves que la Mère envoie à
Ses enfants, ou suscite en eux. Il existe des procédés pour quêter les conseils
du monde des esprits, mais en définitive tout repose sur l’interprétation de
Celle Qui Sert. L’exigence de Servir du mieux possible ne m’a jamais quittée,
mais l’amertume et la rancœur ont hélas obscurci mon jugement. A mon retour, je
haïssais les hommes et le comportement de Brugar m’a conduite à les haïr
davantage.
— Mais pourquoi t’accuses-tu de la mort des trois jeunes
gens ? As-tu enseigné les poisons à Attaroa ? ne put s’empêcher de
demander Jondalar.
— Je lui ai appris beaucoup, fils de Marthona, mais elle n’avait
pas été initiée comme Celles Qui Servent. Cependant, elle a l’esprit vif et
elle comprend toujours plus que ce qu’on veut bien lui dire... mais cela aussi,
je le savais.
S’Armuna n’en dévoila pas davantage, suggérant qu’elle avait
gravement transgressé les vœux de Celles Qui Servent, sans pourtant le dire
clairement, laissant à chacun le soin d’en tirer ses propres conclusions.
— De toute façon, c’est moi qui ai aidé Attaroa à établir
sa domination sur les hommes – sans doute voulais-je les dominer
moi-même. Mais j’ai fait pire : je l’ai poussée et encouragée à prendre le
pouvoir, je l’ai persuadée que c’était là le vœu le plus cher de la Grande
Terre Mère, et je l’ai aidée à en convaincre les autres femmes, ou au moins une
grande partie. D’ailleurs, grâce à la façon dont Brugar les traitait, ce ne fut
pas difficile. Je lui ai donné quelque chose à verser dans la boisson favorite
des hommes pour les plonger dans le sommeil. De la sève de bouleau fermentée.
— Les Mamutoï préparaient un breuvage similaire –, commenta
Jondalar, abasourdi par les aveux de la vieille femme.
— Lorsque les hommes furent endormis, les femmes les
ligotèrent. Elles ne se sont pas fait prier. Cette vengeance était comme un jeu
pour elles. Mais Brugar, lui, ne s’est jamais réveillé. Attaroa a voulu me
faire croire qu’il avait été trop réceptif au breuvage, mais je suis persuadée
qu’elle avait ajouté autre chose dans son bol. Elle avait juré de le tuer, et
elle a tenu parole. Maintenant, elle prétend le contraire, mais quelle que soit
la vérité, c’est moi qui l’ai convaincue que les femmes seraient plus heureuses
une fois débarrassées des hommes, et que les esprits des femmes se mêleraient
entre eux pour ne créer que des bébés de sexe féminin.
— Et le croyais-tu toi-même ? demanda Jondalar.
— J’avais presque réussi à m’en convaincre. Je n’avais pas
énoncé cela aussi crûment – je ne voulais pas m’attirer la colère de
la Mère mais c’était suffisamment clair pour qu’Attaroa devine ma pensée. Et
elle prend pour preuve la grossesse de quelques femmes du Camp.
— Elle a tort, assura Ayla.
— Oui, je sais, et je me suis lourdement trompée. La Mère n’a
pas été dupe de ma ruse. Au fond de moi-même, je sais que les hommes sont là
parce qu’Elle en a décidé ainsi. Si Elle ne voulait pas d’hommes, Elle ne les
aurait pas créés. Leurs esprits sont nécessaires. Mais si on les affaiblit, la
Mère ne peut plus utiliser leurs esprits, et c’est pour cela que si peu d’enfants
naissent. Fils de Marthona, tu es très vigoureux, apprécia-t-elle avec un
sourire flatteur. Je suis sûre qu’Elle s’est déjà servie de ton esprit.
— Si les hommes étaient libres, tu découvrirais vite qu’ils
sont bien assez vigoureux pour provoquer des grossesses, déclara Ayla. Et sans
l’aide de Jondalar.
Le géant, qui avait très bien compris l’allusion même s’il ne
partageait pas entièrement la théorie d’Ayla, lui décocha un coup d’œil amusé.
— Si je peux me rendre utile, ce sera avec plaisir, assura-t-il.
— C’est une bonne idée, fit Ayla. Mais je disais justement
que ce n’était pas nécessaire.
Le sourire de Jondalar se figea. Il venait de se rappeler
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