Le grand voyage
tous
craignent, y compris Attaroa. Elle se méfie de la magie, mais elle est rusée et
imprévisible. Un jour, elle surmontera sa peur, j’en suis sûre. Alors, elle me
tuera. Ma mort ne compte pas, dit-elle à l’adresse de Jondalar. Mais je tremble
pour mon peuple, pour ce Camp. Lorsque tu m’as raconté que Marthona avait
transmis le commandement à son fils, j’ai compris à quel point la situation s’était
détériorée ici. Je sais qu’Attaroa n’abandonnera jamais le pouvoir à personne,
et avant qu’elle ne parte dans l’autre monde j’ai bien peur que le Camp ne
disparaisse entièrement.
— Comment peux-tu en être sûre ? Si elle est aussi
imprévisible que tu le dis, on peut aussi imaginer qu’elle finira par se
lasser, suggéra Jondalar.
— Non, parce qu’elle a déjà tué quelqu’un à qui elle aurait
pu remettre le commandement. Elle a tué son propre enfant.
— Elle a tué son enfant ? ! s’exclama Jondalar,
horrifié. Quand tu as raconté qu’elle était responsable de la mort de trois
jeunes gens, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un accident.
— Non, ce n’était pas un accident. Attaroa les a
empoisonnés, bien qu’elle le nie farouchement.
— Empoisonné ! Quelle femme pourrait tuer son
enfant ? s’indigna Jondalar. Et pourquoi ?
— Parce qu’il a eu le tort de vouloir aider une amie,
Cavoa, la jeune femme que vous avez rencontrée. Elle était éprise d’un homme
avec qui elle projetait de s’enfuir. Son frère essayait aussi de les aider. Ils
ont été pris tous les quatre. Attaroa a épargné Cavoa parce qu’elle était
enceinte, mais elle a juré de tuer la mère et l’enfant, si le bébé était un
garçon.
— Je comprends mieux pourquoi Cavoa a l’air si malheureux
et si craintif, fit Ayla.
— Je porte une lourde responsabilité, avoua S’Armuna dont
le visage devint soudain blême.
— Toi ! Que reprochais-tu donc à ces jeunes ?
demanda Jondalar.
— Oh, rien. L’enfant d’Attaroa était mon servant, et je le
considérais presque comme le mien. J’aime Cavoa, je souffre pour elle, mais je
suis responsable de la mort des trois autres aussi sûrement que si je leur
avais fait avaler le poison moi-même. Sans moi, Attaroa n’aurait jamais su où
trouver le poison ni comment s’en servir.
La vieille femme n’arrivait pas à cacher son désespoir.
— Tuer son propre enfant, répéta Ayla en hochant la tête
comme pour chasser cette idée monstrueuse. Comment a-t-elle pu ?
— C’est un mystère, admit S’Armuna. Je vous raconterai tout
ce que je sais, mais rentrons d’abord, suggéra-t-elle en jetant des regards
inquiets autour d’elle.
Elle n’avait nulle envie que ses révélations pussent tomber dans
des oreilles indiscrètes.
Ayla et Jondalar la suivirent, ôtèrent leur pelisse et s’approchèrent
du feu pendant que la vieille femme l’alimentait et y déposait des pierres à
chauffer pour préparer une infusion. Lorsqu’ils furent bien installés à
déguster le breuvage brûlant, S’Armuna resta silencieuse un moment pour
rassembler ses pensées.
— Je ne sais plus comment tout a commencé. Sans doute avec
les premières querelles d’Attaroa et de Brugar, mais cela ne s’est pas arrêté
là. Brugar a continué à battre Attaroa pendant sa grossesse. Il a refusé qu’on
me prévienne quand elle a accouché. Je ne l’ai su qu’en l’entendant hurler de
douleur. Je suis venue l’aider, mais il ne m’a pas laissée entrer. La
délivrance fut difficile et Brugar interdisait tout ce qui aurait pu la
soulager. Je suis convaincue qu’il se réjouissait de la voir souffrir. Il
semble que l’enfant soit né avec une malformation. D’après moi, c’était à cause
des coups qu’Attaroa recevait, et bien que ce ne fût pas flagrant à la
naissance, je me suis vite aperçu que la colonne vertébrale de l’enfant était
déviée et fragile. Il y avait sans doute d’autres choses, mais je ne puis l’affirmer,
car on ne m’a pas autorisée à l’examiner.
— Était-ce un garçon ou une fille ? demanda Jondalar,
les explications de S’Armuna n’ayant toujours pas levé ses incertitudes.
— Je l’ignore, avoua S’Armuna.
— Je ne comprends pas. Comment peux-tu l’ignorer ? s’étonna
Ayla.
— Personne ne le savait, excepté Brugar et Attaroa, et ils
ont toujours gardé le secret. Contrairement aux autres, l’enfant n’avait pas le
droit d’apparaître nu en public, et
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