Le grand voyage
rendent malade, et si la maladie est déjà là, elle empire. Mais le
plus souvent ils attisent les conflits. Certains entrent dans des rages
terribles, mais tout le monde sait que c’est à cause du Malaise et on ne leur
en tient pas rigueur – sauf s’ils provoquent des dégâts ou des
blessures, et encore, on leur pardonne beaucoup. Après son passage, on remercie
le fondeur de neige parce qu’il a amené les nouvelles pousses, la nouvelle vie.
Mais personne ne souhaite sa venue.
— Venez manger ! appela Solandia qu’ils n’avaient pas
vue arriver. Tout le monde en a déjà repris, il ne vous restera bientôt plus
rien.
Ils se hâtèrent vers le foyer central où un grand feu brûlait,
attisé par les courants d’air provenant de l’entrée de la caverne. Tout le
monde portait des vêtements chauds parce que cette partie de la caverne, qu’aucune
cloison de cuir ne protégeait, était ouverte à tous vents. Le centre du cuissot
de bouquetin était bleu, mais en le laissant sur la broche, il continuait de
cuire, et la viande fraîche était très appréciée. Il y avait aussi une riche
soupe composée de viande séchée, de graisse de mammouth, de quelques morceaux
de racines séchées et d’airelles presque tout ce qu’il restait de légumineuses
et de fruits. Chacun attendait avec impatience les premières pousses du
printemps.
Mais le rude hiver sévissait toujours, et bien qu’il souhaitât
la venue du printemps, Jondalar souhaitait davantage encore que l’hiver se
prolongeât... le temps qu’ils franchissent le glacier qui les séparait de son
peuple.
38
Après le repas, Losaduna annonça qu’on allait servir dans le
Foyer de Cérémonie quelque chose dont Ayla et Jondalar ne saisirent pas le nom.
Il s’agissait d’une boisson chaude, au goût agréable et vaguement familier.
Ayla pensa à un jus de fruits fermentés, parfumé avec des herbes et elle fut
surprise quand Solandia lui apprit que le breuvage était composé surtout de
sève de bouleau avec très peu de fruits.
Après la première gorgée, il restait une amertume en bouche et
la boisson était plus forte qu’Ayla ne l’avait cru. Solandia lui avoua que les
herbes y étaient pour beaucoup. Ayla identifia enfin l’arôme qui lui avait
semblé familier. C’était celui de l’absinthe, une plante très puissante dont l’abus
était dangereux. Sa présence était dissimulée par le fort parfum de la reine
des bois et de quelques autres plantes aromatiques. Elle goûta encore le
breuvage pour analyser sérieusement sa composition.
Elle s’inquiéta auprès de Solandia des dangers potentiels de l’absinthe,
et la femme lui expliqua qu’on utilisait rarement la plante, sauf pour cette
boisson réservée aux Fêtes de la Mère. A cause de son caractère sacré, Solandia
était très réticente à en livrer les secrets, mais les questions d’Ayla étaient
si précises et sa connaissance si vaste qu’elle fut obligée de lui répondre.
Ayla comprit alors que derrière son apparence de breuvage plaisant et à peine
fermenté, il s’agissait en réalité d’une boisson extrêmement forte, conçue pour
encourager la spontanéité et la sensualité propices aux relations intimes qu’exigeait
une Fête en l’Honneur de la Mère.
Le peuple de la Caverne affluait dans le Foyer de Cérémonie et
Ayla remarqua que sa propre acuité s’était accrue à force de goûter le
breuvage. Bientôt un bien-être langoureux l’envahit et lui fit oublier tout
désir d’analyse. Elle aperçut Jondalar entouré de quelques autres parlant avec
Madenia, et, plantant là Solandia, elle se dirigea vers le groupe. Les hommes
la virent arriver avec un plaisir évident. Elle sourit, submergeant Jondalar de
tendresse. Il n’allait pas lui être facile de suivre les recommandations de
Losaduna, et d’encourager Ayla à participer pleinement à la Fête de la Mère,
malgré tout le breuvage que Celui Qui Sert lui avait versé. Il prit une
inspiration profonde et vida sa coupe d’un trait.
Parmi ceux qui l’accueillirent chaleureusement, Ayla reconnut
Filonia et son compagnon, Daraldi, qu’on lui avait présenté un peu plus tôt.
— Ta coupe est vide ! remarqua Daraldi, qui plongea
une louche dans un récipient en bois et servit Ayla.
— Moi aussi, j’en reprendrais volontiers ! déclara
Jondalar avec une jovialité forcée.
Losaduna remarqua l’attitude contrainte de Jondalar, mais il pensait
que personne ne s’en soucierait.
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