Le grand voyage
oui, elle était enceinte ! Pas étonnant qu’elle ait peur. Un homme à
la jambe cassée n’est plus un vaillant chasseur. Et si cet homme possède un
statut élevé, il exerce probablement des responsabilités. Il faut que je
réussisse à le convaincre, se dit Ayla.
Les deux hommes s’évaluaient. Jondalar ne savait pas quelle
attitude adopter, et l’autre guettait sa réaction. En désespoir de cause,
Jondalar se tourna vers Ayla.
— Cette femme se nomme Ayla, fit-il.
Ayla crut d’abord à une gaffe, mais en remarquant la réaction de
Guban, elle se ravisa. Une présentation si hâtive indiquait dans quelle haute
estime on la tenait, ce qui semblait normal pour une guérisseuse. En
déchiffrant les explications suivantes de Jondalar, elle se demanda s’il n’avait
pas lu dans ses pensées.
— Ayla soigne. Elle soigne très bien. Bonne médecine. Ayla
veut aider Guban.
Pour l’homme du Clan, les signes qu’utilisait Jondalar rappelait
le langage des bébés. Ses propos manquaient de nuances, et de complexité, mais
ils paraissaient sincères. Guban ne s’attendait pas à ce qu’un homme des Autres
parlât correctement. La plupart jacassaient, ou marmonnaient, ou grognaient
comme des animaux. Ils faisaient trop de bruits avec leur bouche, comme les
jeunes enfants, mais que pouvait-on attendre de ces humains demeurés ?
Pourtant la femme ne manquait pas de profondeur, et saisissait
les nuances les plus subtiles. Sa capacité à communiquer était réelle. Elle
avait une finesse insoupçonnée, elle avait traduit les propos de Dyondar,
facilitant la communication entre les deux hommes sans les embarrasser. Il
avait peine à croire qu’elle eût été élevée par un clan et qu’elle vînt de si
loin, mais elle parlait avec tant de facilité qu’on l’aurait prise pour une
femme du Clan.
Guban n’avait jamais entendu parler du clan dont elle prétendait
venir et pourtant il en connaissait de nombreux. Le langage ordinaire qu’elle
avait utilisé ne lui était pas familier. Le langage du clan de sa compagne aux
cheveux jaunes n’était pas aussi étrange, mais cette femme des Autres connaissait
les signes ancestraux, et les utilisait à bon escient, ce qui était rare pour
une femme. Elle semblait cacher quelque chose, mais il ne l’aurait pas juré. C’était
une femme des Autres, et il n’était pas question de l’interroger là-dessus. D’ailleurs,
les femmes, surtout les guérisseuses, aimaient garder quelques secrets.
La douleur se réveilla et faillit lui arracher un cri. Il dut se
concentrer pour l’oublier.
Comment pouvait-elle se prétendre guérisseuse ? Elle n’était
pas du Clan. Elle n’en avait pas la mémoire. Dyondar l’avait présentée comme
une femme qui soignait, et semblait la tenir en haute estime... Ah, cette jambe
cassée !... Guban tressaillit légèrement et dut serrer les dents. Elle
soignait peut-être, après tout. Mais cela n’en faisait pas une guérisseuse du
Clan. Et son obligation était déjà si élevée. Une dette de sang envers cet
homme, passe encore... mais envers une femme. Et une femme qui utilisait les
armes !
D’un autre côté, que seraient-ils devenus sans leur aide ?
Cheveux Jaunes qui attendait un bébé... Cette pensée l’émut. Une rage inconnue
l’avait fait bouillir quand les hommes l’avaient attrapée, blessée, et avaient
essayé de la prendre. Il avait sauté du rocher pour la défendre. L’escalader n’avait
pas été facile, et il n’avait pas eu le temps de redescendre.
Ils avaient repéré des traces de cerf, et il avait grimpé sur le
rocher pour savoir si la chasse serait possible, pendant que Cheveux Jaunes
collectait des écorces et incisait les troncs pour récolter le jus qui n’allait
pas tarder à couler. Elle prétendait qu’il ferait bientôt plus chaud, mais
personne ne l’avait crue. C’était encore une étrangère pour son clan, mais elle
disait qu’elle possédait la mémoire de ces choses. Il avait décidé de lui
permettre de prouver son savoir, et avait accepté de l’emmener bien qu’il
connût les dangers... à cause de ces hommes.
Il faisait froid, et il avait cru qu’ils réussiraient à les
éviter en restant près du glacier. Le rocher lui avait semblé un bon poste d’observation.
En atterrissant, la douleur l’avait transpercé et il avait senti l’os se
briser. Il avait failli s’évanouir, mais il n’en avait pas le droit. Douleur ou
pas, il devait affronter les
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