Le grand voyage
sang. Il ne veut pas nous devoir davantage,
dit Ayla, essayant d’expliquer des relations complexes en les simplifiant.
— Une dette de sang ?
— Oui, c’est une obligation...
Ayla réfléchit. Comment lui faire comprendre ?
— C’est souvent ce qui se passe entre chasseurs. Si un
homme sauve la vie d’un autre, il « possède » une parcelle de son esprit.
L’homme qui aurait dû mourir la lui cède en échange de sa vie. Étant donné qu’aucun
homme ne veut voir mourir des parcelles de son esprit – et marcher
dans l’autre monde avant lui – il ferait tout pour maintenir en vie
celui à qui il a donné une parcelle de la sienne. Ils deviennent ainsi frères
de sang, et sont encore plus proches que des frères ordinaires.
— Oui, ça se comprend, acquiesça Jondalar.
— A la chasse, les hommes doivent s’entraider, et comme ils
se sauvent souvent mutuellement la vie, chacun possède une parcelle de l’esprit
des autres. Ils nouent ainsi des liens plus importants que ceux de la famille.
Certains chasseurs d’un même clan sont parfois apparentés, mais les liens
familiaux passent après ceux des chasseurs, qui ne peuvent se permettre de
favoriser l’un plutôt que l’autre. Ils sont trop dépendants les uns des autres.
— En somme, c’est une forme de sagesse, fit Jondalar d’un
air pensif.
— C’est ce qu’on appelle une dette de sang. Cet homme
ignore les coutumes des Autres, et le peu qu’il en sait ne lui donne pas une
bonne opinion de nous.
— Après les exploits de Charoli, c’est normal.
— C’est vrai, mais c’est encore plus compliqué, Jondalar.
En tout cas, il n’est pas très content d’être notre obligé.
— Il te l’a dit ?
— Bien sûr que non ! Mais le langage du Clan ne se
réduit pas aux seuls gestes. La façon dont on se tient, les expressions, une
foule de petits détails entrent en jeu. J’ai grandi dans un clan, toutes ces
choses font partie de moi, et nous sont communes. Alors, je devine ce qui le
gêne. S’il pouvait m’accepter en tant que guérisseuse du Clan, ce serait déjà
un progrès.
— Qu’est-ce que cela changerait ?
— Cela voudrait dire que je possède déjà une parcelle de
son esprit.
— Mais... mais tu ne le connais pas ! Comment posséderais-tu
une parcelle de son esprit ?
— Une guérisseuse sauve des vies. Elle pourrait exiger une
parcelle de l’esprit de tous ceux qu’elle sauve, et en détiendrait une de
chacun avant longtemps. Quand elle est nommée guérisseuse, elle donne une
parcelle de son esprit au Clan, et reçoit en échange une parcelle de chacun.
Comme cela, la dette est déjà acquittée, et cela explique le statut privilégié
de la guérisseuse. Pour la première fois, je suis contente qu’on ne m’ait pas
repris les esprits du Clan....
Jondalar allait parler, mais devant l’expression figée d’Ayla,
il comprit qu’elle était plongée dans une profonde méditation.
— ... quand j’ai été condamnée à mort, poursuivit-elle. J’en
ai été longtemps préoccupée. A la mort d’Iza, Creb a repris toutes les
parcelles d’esprit pour qu’elle ne les emporte pas dans l’autre monde. Mais
quand Broud m’a damnée, personne ne m’a repris les parcelles, pourtant le Clan
me considérait comme morte.
— Qu’arriverait-il s’ils l’apprenaient ? demanda
Jondalar en désignant les deux membres du Clan d’un discret signe de tête.
— Je cesserais d’exister. Ils ne me verraient même pas. Ils
ne s’autoriseraient pas à me voir. Si je me plantais devant eux en hurlant, ils
ne m’entendraient pas. Ils croiraient simplement qu’un mauvais esprit cherche à
les entraîner dans l’autre monde, expliqua Ayla, qui frissonna en revivant un
souvenir cruel.
— Oui, mais pourquoi es-tu contente de toujours détenir les
parcelles d’esprits ?
— Parce que je ne peux pas lui mentir, il le saurait. En
revanche, je peux éviter de tout dire. Par courtoisie et par respect de la vie
privée d’autrui, c’est autorisé. Je ne suis pas obligée de lui dévoiler ma
damnation, mais je peux dire que je suis une guérisseuse du Clan puisque c’est
vrai. Je le suis toujours, je possède encore les parcelles d’esprits... Mais je
mourrai un jour, Jondalar, reprit-elle d’un air soucieux. Si j’emporte les
parcelles d’esprits dans l’autre monde, que deviendront ceux du Clan ?
— Comment le saurais-je ? Ayla paraissait bouleversée.
— Je
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