Le grand voyage
autres garçons. Mais bientôt, Ura
viendra vivre avec le clan de Brun... Ah, c’est vrai, c’est celui de Broud, à
présent, rectifia Ayla d’un air malheureux. Cet été sera celui du Rassemblement
du Clan, c’est donc à l’automne qu’Ura quittera son clan pour rejoindre Brun et
Ebra. Elle sera unie à Durc dès qu’ils seront assez âgés. Je voudrais tant être
là pour l’accueillir, soupira-t-elle. Mais je lui ferais peur, et elle
penserait que Durc est marqué par la malchance puisque l’esprit de son étrange
mère ne peut pas rester dans l’autre monde.
— Es-tu sûre de ne pas le regretter, Ayla ? Tu sais,
nous prendrons le temps de le rechercher, si c’est ce que tu souhaites.
— Même si je le voulais, je ne saurais pas où chercher. Je
ne connais pas l’emplacement de leur nouvelle caverne, et j’ignore où se tient
le Rassemblement du Clan. Mon destin m’interdit de revoir Durc. Il n’est plus
mon fils, je l’ai donné à Uba. C’est le sien, maintenant. (Au bord des larmes,
Ayla jeta un regard désespéré à Jondalar.) Quand Rydag est mort, j’ai compris
que je ne reverrais jamais Durc. Je l’ai enterré dans la couverture de Durc,
que j’avais emportée en quittant le Clan, et dans mon cœur, c’était comme si j’enterrais
mon fils en même temps. Je ne le verrai plus jamais. Pour lui, je suis morte,
et il vaut mieux que je le considère mort pour moi.
« J’ai vraiment de la chance, tu sais, reprit Ayla,
indifférente aux larmes qui inondaient ses joues. Pense à Nezzie. Elle n’avait
pas donné naissance à Rydag, mais elle l’aimait et le soignait comme son fils.
Et pourtant, elle savait qu’il mourrait vite. Elle savait aussi qu’il ne
mènerait jamais une existence normale. Les mères qui perdent leurs fils les
imaginent dans l’autre monde, au milieu des esprits, mais moi, je peux penser à
Durc vivant et heureux. Je peux me dire qu’il est avec Ura, qu’il a des enfants
dans son foyer... quand bien même je ne les verrais jamais, ajouta-t-elle dans
un sanglot.
Elle s’abandonna enfin à sa douleur, et Jondalar la prit dans
ses bras. Le souvenir de Rydag l’attristait. Personne n’aurait rien pu faire
pour lui, et la Mère savait qu’Ayla avait tout essayé. C’était un enfant
fragile, Nezzie prétendait qu’il l’avait toujours été. Mais Ayla lui avait
apporté un bien précieux. Après qu’elle lui eut enseigné, ainsi qu’à tous ceux
du Camp du Lion, le langage des signes, il avait enfin été heureux. Pour la
première fois de sa jeune existence il avait pu communiquer avec ceux qu’il
aimait. Il avait pu exprimer ses besoins et ses désirs, ses sentiments – et
surtout sa reconnaissance envers Nezzie, qui s’était occupée de lui depuis la
mort de sa mère, à sa naissance. Il avait enfin pu lui dire qu’il l’aimait.
Les membres du Camp du Lion en avaient été stupéfaits. Et après
qu’ils eurent compris que Rydag n’était pas un animal savant privé de la
parole, mais au contraire quelqu’un de différent, pratiquant un langage
différent, ils avaient fini par reconnaître son intelligence, et l’accepter en
tant qu’humain. Jondalar n’avait pas été le dernier surpris. Il avait appris le
langage des signes avec les autres, et en était venu à apprécier l’humour
tendre et la profondeur de jugement qu’il découvrait chez le jeune descendant
de cette race ancienne.
Jondalar serrait dans ses bras la femme qu’il aimait, secouée
par de longs sanglots. Il savait qu’Ayla avait refoulé son chagrin à la mort de
l’enfant du Clan que Nezzie avait adopté, et qui lui rappelait tant son propre
fils. Il comprit qu’aujourd’hui c’était aussi Durc qu’elle pleurait.
Mais au-delà de Rydag ou Durc, Ayla pleurait sur tous ceux qu’elle
avait perdus : ceux qui lui avaient donné le jour, ceux du Clan qu’elle
avait aimés, et le Clan tout entier qu’elle ne reverrait plus. Le clan de Brun
lui avait servi de famille, Iza et Creb l’avaient élevée avec affection, et
malgré sa différence, il lui arrivait de se considérer comme une femme du Clan.
Bien qu’elle eût décidé de suivre Jondalar et de vivre avec lui, leur dernière
conversation lui avait fait comprendre à quel point son pays était éloigné, à
une année de voyage d’ici, peut-être deux, même. L’évidence l’avait
anéantie : elle n’y retournerait plus jamais.
Ayla n’abandonnait pas seulement sa nouvelle famille
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