Le grand voyage
s’accrochait
désespérément à une faille et à une petite aspérité, pétrifiée de peur.
Elle avançait péniblement, de la neige jusqu’aux genoux, perdue
dans ses pensées. Elle était fatiguée, fatiguée de tout : du froid, de
cette neige où elle s’enfonçait, du glacier. La marche à travers le glacier l’avait
épuisée, elle n’en pouvait plus. Pourtant, elle continuait à se battre, obsédée
par un seul but : atteindre l’extrémité du glacier.
Un craquement sonore l’avait alors tirée de ses ruminations.
Elle avait senti la glace s’effondrer sous ses pas, et le souvenir effrayant d’un
lointain tremblement de terre lui était revenu. Instinctivement, elle avait cherché
à se raccrocher, mais la glace et la neige qui avaient accompagné sa chute ne
lui offraient aucune prise. Elle s’était sentie tomber, suffoquant à demi au
milieu de l’avalanche de neige déclenchée par l’effondrement du pont, et elle s’était
retrouvée, sans savoir comment, sur l’étroite corniche.
Elle leva la tête avec précaution, craignant que le moindre
mouvement ébranlât son appui précaire. Au-dessus, le ciel paraissait presque
noir et elle crut apercevoir le pâle scintillement des étoiles. Quelques morceaux
de glace, ou des poignées de neige, tombaient à retardement et aspergeaient la
jeune femme dans leur chute.
La corniche était un reste de l’ancienne surface enfouie depuis
longtemps sous la neige, et reposait sur un gros rocher déchiqueté, arraché à
la montagne quand la glace avait empli la vallée avant de déborder dans la
suivante. La rivière de glace accumulait quantité de poussière, sable,
graviers, ainsi que des rochers qu’elle détachait de la muraille rocheuse, et
qui étaient progressivement happés par le courant central, plus rapide.
Entraînées par le courant, ces moraines formaient de longues langues
caillouteuses. Lorsque la température remonterait suffisamment pour faire
fondre le glacier, des traces de leur passage se liraient à ces amoncellements
de rocs dépareillés déposés sur les crêtes et les collines.
Elle attendait, immobile, et percevait des faibles murmures et
des grondements sourds. Elle crut d’abord que son imagination lui jouait des
tours. En fait, la masse de glace était moins compacte qu’elle ne paraissait de
l’extérieur. Elle était en mouvement constant, s’étendait, glissait, basculait.
Le fracas d’une crevasse qui s’ouvrait ou se refermait au loin, à la surface ou
en profondeur, se propageait à travers le solide visqueux. Les montagnes de
glace étaient criblées de cavités : couloirs débouchant sur un à-pic,
longues galeries sinueuses, trous béants, poches et grottes accueillantes mais
qui se refermaient d’un coup.
Ayla osa enfin étudier sa prison. Les murs de glace luisaient d’une
incroyable lumière bleue aux reflets verts. Elle s’aperçut avec un coup au cœur
qu’elle avait déjà vu cette couleur quelque part. Les yeux de Jondalar !
Ah, revoir ces yeux au bleu si intense ! Les parois du cristal gigantesque
lui donnaient l’impression qu’un mystérieux chambardement se déroulait hors de
sa vue. Elle était persuadée qu’en tournant la tête d’un geste brusque, elle
apercevrait une forme éphémère dans les miroirs muraux.
Ce n’était qu’une illusion d’angle et de lumière, un tour de
magicien. Les cristaux de glace filtraient la plupart des couleurs du spectre
de la lumière qui descendait de l’astre incandescent, et ne libéraient que le
bleu-vert. Les plans et les arêtes des miroirs teintés jouaient entre eux un
jeu de réflexion et de réfraction.
Douchée une nouvelle fois par une chute de neige, Ayla leva la
tête. Jondalar était penché au-dessus de la crevasse, et une corde se balança
devant les yeux d’Ayla.
— Attache la corde autour de ta taille, cria-t-il. Et fais
attention de la nouer solidement. Tu me préviendras quand tu seras prête.
Voilà que je recommence, se maudit Jondalar. Pourquoi toujours
vérifier ce qu’elle fait ? Pourquoi rabâcher des conseils évidents ?
Elle savait bien qu’il fallait attacher la corde solidement. C’était justement
ce qui l’avait mise en rage, et avait provoqué son départ précipité qui avait
abouti à la dangereuse situation présente... Évidemment, elle aurait dû se
contrôler.
— Je suis prête, Jondalar, lança Ayla après avoir noué la
corde bien serré. Ça tiendra.
— Bon. Agrippe-toi à la
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