Le grand voyage
conclusion que si leur chasse était
couronnée de succès, ils auraient le droit d’utiliser le Camp, mais s’ils
échouaient, il leur faudrait partir. On leur avait envoyé un signe, la vache
tachetée, et pour mériter la récompense, ils devaient en venir à bout. Sinon, s’ils
rataient leur chasse, cela signifierait qu’ils étaient dans leur tort, que la
Mère ne leur permettait pas de rester. Dans ce cas, ils devraient partir
sur-le-champ. La jeune femme s’interrogeait sur leurs chances de succès.
9
Jondalar étudia la disposition du troupeau. Les aurochs,
éparpillés entre le pied de la colline et la rive, paissaient dans des
pâturages verdoyants parsemés de buissons et d’arbres. Jondalar choisit la
femelle isolée dans un pré par un rideau d’aulnes et de bouleaux qui partait du
pied de la colline avant de s’éclaircir et de laisser place à une bande de
terre marécageuse envahie de grands roseaux et de massettes.
— Traverse les roseaux et poste-toi près du marécage,
décida Jondalar. Moi, je passerai par cette trouée dans les aulnes pour la
rabattre vers toi.
Ayla approuva le plan d’attaque et descendit de cheval pour
attacher le long étui de cuir brut aux lanières qui retenaient la couverture de
daim sur le dos de Whinney et qui contenait plusieurs sagaies aux fines pointes
en os, polies, aiguisées et fendues à la base pour se fixer sur la hampe.
Chaque sagaie, empennée de deux plumes droites, avait une entaille à sa base.
De son côté, Jondalar prit une sagaie dans son propre étui qu’il
portait en bandoulière. Il avait conservé cette habitude de l’époque où il ne
chassait qu’à pied. Toutefois, pendant les longues marches, il portait un sac
au dos sur les côtés duquel étaient fixées ses sagaies. Il plaça la sagaie dans
son propulseur, prêt à tirer.
Jondalar avait inventé le propulseur pendant l’été passé avec
Ayla, dans sa vallée. C’était une innovation totale, une création de pur génie
due à son sens technique inné et à une intuition de principes physiques qui ne
seraient pas définis ni codifiés avant des centaines de siècles. Ingénieux dans
son principe, le propulseur était pourtant d’une extrême simplicité.
On plaçait la sagaie sur l’engin, l’encoche reposant sur le
crochet d’arrêt. L’index et le majeur engagés dans les anneaux de cuir, à l’avant
du propulseur, à un point d’équilibre en retrait du milieu de la sagaie, plus
longue que son support, et on tenait l’engin à l’horizontale. Mais tout l’intérêt
résidait dans le lancement de la sagaie. En maintenant fermement l’avant de l’engin
quand on projetait l’arme, l’arrière du propulseur s’élevait, et démultipliait
l’extension du bras, accroissant l’effet de levier et la vitesse, avec pour
résultat un gain de puissance, donc un jet plus long.
Avec un propulseur ou à main nue, le geste du lancer restait le
même, mais les résultats étaient incomparables. La sagaie allait deux fois plus
loin, avec une force d’impact bien supérieure.
L’invention de Jondalar utilisait un artifice mécanique pour
transmettre et amplifier la force, mais ce n’était pas la première application
de ce principe. Son peuple, inventif par tradition, utilisait des moyens
analogues dans d’autres domaines. Ainsi, un silex bien aiguisé constituait déjà
un outil tranchant, mais au bout d’un manche il donnait à l’utilisateur un
surcroît de force et de précision. L’idée, simple en elle-même, d’ajouter un
manche à une lame – couteau, hache, herminette, ou autres outils pour
couper, creuser, percer ; un manche plus long pour les pelles et les
râteaux, et même un manche détachable pour lancer une sagaie – décuplait
leur efficacité. Ce n’était pas une trouvaille quelconque, c’était une
invention capitale qui rendait le travail plus facile et la survie moins
aléatoire.
Ceux qui les avaient précédés avaient inventé ou amélioré divers
instruments, mais des gens comme Jondalar et Ayla étaient les premiers à
apporter de telles innovations décisives. Ils étaient déjà capables d’abstraction.
Ils savaient concevoir l’application directe d’une idée. A partir d’instruments
fonctionnant avec des principes avancés, intuitivement compris, ils tiraient
les conclusions logiques et les appliquaient dans d’autres circonstances. Ils n’inventaient
pas seulement des outils utiles, ils découvraient la science.
Weitere Kostenlose Bücher