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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tristesse point : elle était horrifiée.
    — Messire Ogier, il vous faut me suivre…
    — Qu’as-tu ? Approche ! Ne peux-tu parler devant mon oncle ?
    Il la tutoyait pour la première fois. Elle secoua négativement la tête. L’émotion la rendait rose, tremblante ; il vit qu’elle jetait un regard sur son épée.
    — Au nom de Dieu tout-puissant, venez !
    — Suis-la, dit Guillaume, débonnaire. Les femmes s’émeuvent d’un rien, maintenant.
    Pour lui, les événements épouvantables ne pouvaient surgir que du dehors.
     
    *
     
    Ils contournèrent le puits, et leur course effaroucha des volailles.
    — Hâtons-nous ! supplia la ribaude.
    Ogier n’osait la questionner car des hommes les observaient.
    Adelis ne s’arrêta, essoufflée, qu’au pied de l’escalier intérieur du donjon. Son visage était pâle. Elle ferma les yeux pour retenir vainement deux larmes.
    — Ah ! messire… Il me fallait vous aller chercher… Vous seul !
    Impulsivement, il la prit aux épaules :
    — C’est à cause de l’enfant ? Il est mort ?
    — Non, il dort dans le berceau qu’on lui a préparé à l’échansonnerie.
    Les bras d’Ogier retombèrent. Comme incapable d’affronter son regard, Adelis gravit quelques marches et se retourna :
    — Il dort si bien que Mathilde m’a demandé de revenir avec elle pour l’aider à refaire son lit…
    — Bon… Et alors ? Qu’est-ce qui t’a mise en cet état ?
    Inquiet, il revenait au tutoiement… Tout, jusqu’ici, lui paraissait limpide. Pourquoi donc tant de cuidançon ou d’effroi ?
    — Mathilde m’a quittée pour aller chercher les sergents. Mais sans doute sont-ils employés à quelque tâche… Elle tarde.
    — La Lucie est donc toujours là-haut ?
    Un incident, rien de plus. Pas de quoi s’apeurer.
    Adelis s’arrêta dans un renfoncement de la paroi, peu avant le palier desservant la chambre de Claresme et de Tancrède. Elle haletait, cherchait son souffle. Ogier s’exaspéra :
    — Parle donc !
    — La Lucie est toujours là-haut, messire… Mais elle n’y est plus seule… Heureusement que j’ai ouvert la porte doucement. S’il m’avait vue, il m’aurait sans doute occise… Alors, quand j’ai compris ce qu’il s’apprêtait à faire, j’ai couru vous chercher.
    — Qui est cet homme et que fait-il ?
    Retroussant haut sa robe, Adelis se remit à monter les degrés.
    — Que peut faire Saint-Rémy en présence d’une femme ?
    — Je sais, Adelis… Mais la Lucie est morte !
    La ribaude haussa dédaigneusement les épaules :
    — Rien ne constitue un empêchement pour ce démon, messire… Surtout, faites aucun bruit.
    Elle avait parlé bas, elle montra la porte de chêne clair, à peine déclose.
    — J’aimerais m’être trompée, chuchota-t-elle avant de s’effacer.
    Ogier poussa légèrement le battant.
    « Par tous les saints, elle a dit vrai ! »
    Vautré sur la Lucie, Saint-Rémy la forniquait à grands coups de reins rageurs, en grognant, accroché à ses épaules par ses mains brunes, osseuses, et sans savoir, peut-être, qu’elle avait un oreiller sur le ventre, car dans ce corps disponible, rien d’autre ne l’intéressait au-delà du sexe.
    « Le monstre !… L’immonde ! »
    Pétrifié d’horreur, Ogier ne pouvait aller plus loin dans l’exécration. Interrompre ce sacrilège ? Il s’en savait incapable tant ce qu’il voyait était, au plein sens du terme : repoussant. Reculant d’un pas, il se demanda s’il rêvait. Pour se convaincre du contraire, il revint en avant. Oui, cette étreinte était inconcevable, même dans les pires outrances des sommeils licencieux ; mais elle existait : il en était le témoin effaré.
    Aucun doute, le démon possédait cet homme. Il savait ce qu’il faisait et s’en délectait. Les remparts lui étant interdits, il devait fureter partout à l’intérieur de l’enceinte. Il avait dû voir les sergents emporter le corps de la Lucie ; il les avait suivis – ou bien, à l’affût en quelque coin ombreux du tinel, il les avait vus descendre, seuls. De toute manière, en léthargie forcée depuis le sac de son château, sa rapacité sensuelle s’était subitement éveillée… Désir puissant, oppressif, de chair féminine, quel qu’en fût l’âge ou l’état… En découvrant Lucie morte, à la fois abandonnée à son indiscrétion et à sa discrétion dans cette chambre déserte, sa curiosité, satisfaite, s’était

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