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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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traverser, mais son cœur s’allégeait. Il vit Mathilde, penchée au-dessus du corps de la Lucie, appliquée à une besogne qu’il ne comprit pas.
    — Que faites-vous ?
    — Ben, je la recouds… Faut pas qu’elle perde ses entrailles. Je vais la vêtir d’une de mes robes avant de la faire conduire à la chapelle.
    — Mais, objecta Ogier, Raymond, Calmels, Arnaud Clergue et bien d’autres verront que son ventre…
    — Avec un oreiller dessus, nul danger… D’ailleurs, je les accompagnerai jusqu’à la fosse commune… et ils l’enseveliront devant moi.
    Tancrède quitta la pièce. Ogier entendit un hoquet suivi d’un gargouillis rauque.
    — Elle vomit, commenta Mathilde. Elle peut se mettre une armure sur le corps, elle n’est qu’une femmelette… Fermez bien la porte et mettez le verrou.
    — Voilà, c’est fait.
    Et comme le bruit des pas décroissait, comme cette naissance à la fois belle et monstrueuse l’avait en quelque sorte lié à la commère et que, jamais plus sans doute, les circonstances ne lui paraîtraient aussi favorables, Ogier se risqua :
    — Est-elle bien ma cousine ?
    L’échine de Mathilde tressaillit. Un instant, sa grosse aiguille demeura suspendue au-dessus du ventre de la morte, et sa réponse fut un murmure ennuyé :
    — Je ne peux rien vous dire… Ah ! là là, quelle idée… Vous, alors !
    Ni affirmation, ni dénégation. Donc, il y avait quelque chose.
    — Pourquoi ne pouvez-vous rien me dire ? Vous le savez, Mathilde : ou nous mourrons tous, et si vous me révélez un secret, je périrai avec lui ; ou cette ribaudaille s’en ira et je partirai pour toujours…
    — Qui vous a raconté ?
    Il ne pouvait à son tour lui répondre : « Mais c’est elle, Tancrède, précisément ! » Il se renfrogna :
    — Je ne puis vous le dire.
    Mathilde se redressa, écarta sur son front quelques cheveux désagréables comme ces questions et ces réponses imprévues :
    — On rapporte tant et tant de choses… La malveillance, la médisance, ça soulage… On invente n’importe quoi à propos de Pierre, de Paul ou de… Guillaume… Pour moi, Tancrède est une Rechignac.
    Par dépit, Ogier eut envie de demander : « Et Philippe ? Est-il le bâtard de mon oncle ? » C’eût été une inutile méchanceté.
    Mathilde considéra le ventre recousu d’où le sang sourdait à peine.
    — Que Tancrède soit votre cousine ou non, qu’est-ce que ça changerait ?
    — Je n’en sais rien, dit Ogier, sincère. Mais j’aimerais savoir…
    Une indéfinissable expression de souffrance crispa les traits de la commère. Elle rouvrit son coffre et en tira des linges, une robe, une longue bande de tissu qu’elle enroula en se tournant vers le lit.
    — Je vais maintenir l’oreiller sur son ventre avec ce bandage, puis l’habiller…
    Elle s’approcha du nonnat dont Ogier touchait le crâne de sa joue, et du bout de l’index, caressa son menton.
    — Il est sauf. Tant mieux pour nous… Sans Clergue, tout aurait été simple, pas vrai ?
    Ogier approuva. Et insista :
    — Dites-moi pour ma cousine.
    — Je ne peux rien vous dire.
    Et soudain, méchamment, d’un ton dans lequel il entrait autant de détestation que d’embarras :
    — Interrogez donc Blanquefort… Peut-être qu’il vous répondra.
    — Mais pourquoi lui, Mathilde ?
    Elle haussa les épaules, saisit sous la tête de la Lucie l’oreiller qu’elle y avait glissé lorsque les sergents l’avaient apportée.
    — Vous m’enfelonnez… Passez-moi l’enfant… Je vois que vous avez du sang sur vos mailles, mais par le temps qui court, nul ne s’en apercevra. Vos mains sont propres, et c’est ça l’important… Allez, partez… Je me destouillerai du reste. Adelis va venir.
    Elle prit l’enfant et, le déposant sur les linges empilés dans son coffre :
    — Il n’a pas de nom… Avez-vous une idée ?
    — Raoul. Le fils de Sidobre s’appelait ainsi…
    Ogier quitta la chambre et bientôt le donjon. Sitôt dans la cour, il leva la tête. Rien… Des hommes comme soudés aux merlons, immobiles. On battait le fer dans la forge, mais il irait plus tard.
    Il monta lentement sur le chemin de ronde. Knolles attaquerait-il ? En plein midi ?
    — Ils sont paisibles, résuma Thierry Champartel au passage en désignant, d’un geste, le camp ennemi.
     
    *
     
    Ombres chétives et soleil despotique. Des insectes crissaient partout. On eût dit qu’eux aussi aiguisaient

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