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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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leurs dards, leurs élytres, leurs rostres. Un vent mou.
    De leurs faucilles ténébreuses, les hirondelles déchiraient le bleu du ciel. Tout était lourd. Sans s’assoupir, les veilleurs bâillaient aux merlons. Après la pluie des dernières semaines et de la veille au soir, août en déclin fourbissait ses orages. Les relents des écuries, des étables, et le fumet du bâtiment incendié se mêlaient aux puanteurs du fossé bruissant de mouches. Les plus redoutables et pourtant les plus belles, celles au corselet bleu-vert, presque aussi grosses que des guêpes, commençaient à s’enhardir. Les abcès, les tumeurs, les plaies sanieuses et les fientes ne leur suffisant plus, il leur fallait de la chair saine. En bourdonnant certaines franchissaient les murailles et s’éparpillaient dans l’enceinte.
    Guillaume désigna les mantelets disposés non loin du bord de la contrescarpe.
    — Ils sont derrière. Ils tirent rarement, mais toujours aux lieux et aux moments imprévus. Où étais-tu ?
    — Avec Mathilde.
    Guillaume rit un bon coup.
    — Tout ce temps !… Au moins suis-je sûr que tu ne lui as pas fait d’enfant.
    — Qui sait ?
    L’hilarité du baron redoubla.
    « As-tu été cocu, mon oncle ? songea Ogier. En ce cas, pourquoi et par qui ? »
    Il attrapa familièrement le bras du vieillard. Jamais, tant qu’aujourd’hui, il ne s’était senti aussi enclin à l’admirer et à le plaindre.
    Un pas pesant le fit se retourner. Saint Rémy s’approchait :
    — Tu t’y prends mal, Guillaume. Il faudrait faire une sortie, détruire les engins de mort…
    Le baron cracha sciemment devant les heuses de son beau-frère :
    — J’aime trop les gens qui sont dans cette enceinte pour en sacrifier un seul dans un acte outrageux que tu serais le premier à me reprocher s’il échouait.
    — Les hommes de ta mesnie sont hodés [54] sauf quelques jeunes coqs comme celui qui te compagne… Je doute donc, beau parent, et te prie de m’en excuser, que tu résistes, et eux aussi, à ces malandrins… À la guerre, c’est comme avec les femmes : sans hardiesse, point de plaisance !
    Saint-Rémy eut un rire pointu auquel Guillaume fut indifférent. Il tourna son visage couenneux en direction d’Ogier qui se recula d’un pas afin d’échapper à une haleine fétide.
    « Il me hait, se dit le damoiseau. Non seulement parce qu’il me soupçonne d’avoir occis son fils, mais surtout parce que j’ai placé Aliénor et Adelis hors de sa lubricité. »
    — Je vous laisse et vais faire un tour au donjon… Doit bien s’y passer des choses…
    Un rire encore. Que savait-il cet égrotant ? Tandis que Saint-Rémy s’éloignait, Ogier découvrit que l’exécration que ce malfaisant vouait à Rechignac devait envelopper tous les assiégés sans exception. La vaillance, l’intelligence, l’amitié, l’amour – tous les sentiments élevés – l’indisposaient quand ils ne le mettaient en fureur. Son regard presque blanc, c’était celui du diable, de Bélial et de moult démons lugubres. Arnaud Clergue pouvait-il exorciser celui-ci ? L’accabler de la malédiction divine ?
    — Qu’il meure !
    — Que dis-tu ?
    — Je disais, mon oncle : qu’il meure ! Cet homme, c’est la malédiction dans vos murs. Il n’est rien d’autre qu’un suppôt de Satan !
    — Satan, Belzébuth et les autres sont au-delà de mes parois ; ils sont Anglais !
    Le temps passa. Ogier ne savait plus que dire ; Guillaume, lui, grommelait des insultes à l’adresse de Knolles et de ses troupes. Le damoiseau, enfin, domina sa tristesse :
    — Voyez… Nous sommes les seuls à ne rien faire.
    Dans la cour, Bertrand Pimouguet et ses compagnons transportaient des boulets et des rochers qu’ils allaient répartir au pied des escaliers. Les chaudronnées bouillonnaient au-dessus des cendres rouges.
    Le baron soupira.
    — Canole hésite… Vois-tu, parole de chevalier, je n’aurai de joie que le jour où je verrai son cœur hors de sa poitrine : tout nu… Je le ferai saler, rôtir, et je le jetterai aux chiens.
    — À propos, mon oncle… N’êtes-vous pas inquiet pour notre nourriture ?
    — Nous avons des porcs, des bœufs, moutons et vaches… L’étable est moins atteinte que je ne l’avais craint, et les bestiaux s’y trouvent à l’aise… Mais vois donc qui vient vers nous.
    C’était Adelis. Avec sa robe de laine noire et ses cheveux au vent, elle semblait en deuil. Or, de

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