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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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tenté de gravir à nouveau les marches vélocement, tout en hurlant : « À l’arme ! À l’arme ! » Non… À d’autres que lui, les malices de cette espèce…
    Il quittait l’écurie lorsqu’une femme, un seau de lait à la main, s’empressa à sa rencontre :
    — Messire… Messire…
    La Pâquerette… Celle qu’il eût fallu enfermer… Une vraie veuve : elle avait les yeux rouges à force d’avoir pleuré.
    — Il me faut vous entretenir de ma Clotilde.
    Comme sa fille, elle était rousse. La trentaine. Sa chair rose, grenue, était tiquetée de son. Sa bouche ferme, assez pâle, laissait paraître des dents blanches. Il vit aussi le triangle du décolleté sur une poitrine encore belle, les épaules larges, frôlées par des cheveux courts, indociles, et les mains fortes aux ongles longs.
    — Parlez !… Est-ce si difficile ?
    La femme hocha la tête et posa son seau.
    — Je suis la Pâquerette… Je vous connais… C’est à cause de tout ça…
    Elle eut un geste vers les murailles. Elle avait les yeux non seulement rougis de chagrin, mais las, cernés, apeurés. Si elle couchait dans quelque galetas, elle devait veiller sur elle et sur Clotilde ; chaque nouvelle nuit l’épuisait un peu plus.
    — C’est vrai que des Goddons comblent le fossé tandis que d’autres construisent un beffroi ?
    — C’est vrai.
    — Demain, ils peuvent nous envahir ?
    Elle frissonnait, et pourtant elle était en plein soleil. Ogier vit une mouche tomber dans le lait. Il la soutint du bout de son médius et la jeta au sol où il l’écrasa, car grosse et verte, elle venait de l’autre côté des murailles. Il sourit :
    — Nous ne sommes pas encore vaincus, dame Pâquerette. Leur beffroi ne nous effraie nullement.
    Soudain, pénétré sans doute par la peur infinie de cette femme, il imagina le colosse de bois couvert de peaux gluantes de sang, grouillantes d’insectes, sur lesquelles, sitôt plantées, s’éteindraient les flèches incendiaires jaillies des murs de Rechignac. Il l’entendit même, progressant sur la chaussée préparée à son intention, et inclinée vers l’enceinte. Les membrures de ce monstre poussé par les bœufs épargnés gémiraient ainsi que les essieux des roues et leurs moyeux dégoulinants d’axonge et de sève. Tous ces couinements de bois torturé seraient couverts par les mugissements des bêtes flagellées, aiguillonnées, et les hurlements des routiers impatients d’entamer la bataille. L’air s’alourdirait de ce terribouris [64] . Massés en haut de la tour roulante, les archers de Canole perceraient ceux de Guillaume ; derrière eux, d’autres malandrins agiteraient leur hache et leur vouge, tandis qu’en bas, dans le sillage de l’engin plus redoutable encore que le cheval de Troie, progresseraient des hordes commandées par Tranchelion, Barbiéri, Briatexte. Dans leur hâte d’emprunter les échelles menant à la plate-forme supérieure, pour sauter sur les remparts, ceux-là se bousculeraient, échangeraient des invectives. Ces mécréants agiteraient des épées, des cognées, des épieux tandis que, semblable à une aile abaissée, leur bouclier battrait leur flanc…
    Sans regarder Pâquerette – de crainte qu’elle ne surprît, dans ses yeux, une lueur d’inquiétude –, Ogier désigna le donjon :
    — Même si ces linfars franchissaient nos parois, vous et votre Clotilde seriez à l’abri là-dedans. Et je vous garantis qu’ils n’y entreront jamais !
    — Qui sait ?… On dit que rien ne leur résiste !… Alors, si la pierre et nos hommes leur cèdent, que deviendrons-nous devant eux ?
    Ogier ne se sentit aucune compassion. Ce beffroi, il y voulait penser dans le silence et la solitude. Le donjon tiendrait, certes, mais sitôt la malevoisine remontée une fois de plus dans la haute cour, ses jours seraient comptés. Il faudrait fuir dans la campagne, par le souterrain. Cependant, là où un homme ou un groupe d’hommes pouvait se faufiler impunément, l’exode avec des femmes, des vieillards, des enfants de tous âges paraissait impossible.
    Pâquerette insista :
    — Quel sera notre sort, messire, quand ils entreront ?
    « Tu le sais bien ! » songea-t-il.
    — Ils n’entreront jamais !
    Elle l’agaçait. Baissant la tête, elle ajouta :
    — Bien sûr, moi, j’ai moins peur que ma fille… Moi, je sais… Je veux dire…
    Elle s’empêtrait, mais il venait de comprendre. D’ailleurs, elle

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