Le Gué du diable
étaient au travail et où ! Attention à ce que vous dites !
— A bien y penser, murmura Émile, je crois qu’ils étaient à sarcler… C’est ça : ils sarclaient !
— Je vois que la mémoire te revient, nota le comte qui laissa s’écouler un moment, tandis que le bourreau tapotait d’une manière inquiétante la paume de sa main gauche avec le manche du fouet sur lequel il avait replié la lanière.
— Ce sont donc, sans nul doute, ceux-là qui sarclaient, fit confirmer Ermenold.
— Ceux-là, avec quelques autres, peut-être. Van en tout cas.
— Voilà qui est clair… Mais, dites-moi tous les deux, ont-ils passé la journée à sarcler ?
— S’ils ont passé la journée à sarcler ?… commença Clément d’un ton hésitant, ne sachant où le comte voulait en venir.
— Je t’ai posé une question !
— Peut-être bien, après tout, qu’ils n’y ont pas passé la journée, hasarda le colon.
— Donc, ils ont pu aller par-ci, par-là ?
— Ça se peut, oui.
Le comte arrêta un instant l’interrogatoire pour boire un gobelet de cervoise et en faire offrir un à Doremus qui le refusa courtoisement. Puis il se tourna à nouveau vers ses colons.
— Dans l’après-midi, n’avez-vous pas aperçu des cavaliers ?
— Des cavaliers ? répéta Émile qui sembla chercher dans sa mémoire. Oui ! Je dirai trois cavaliers.
— Comment trois cavaliers ?
— Deux sur le domaine des Gérold se dirigeant vers l’Ouanne, et un autre, un peu plus tard sur les terres des Nibelung, venant de l’est et allant vers la rivière.
Ermenold se donna le temps de la réflexion.
— Commençons, dit-il, par ce qui se passait au nord. Es-tu bien sûr qu’il y en avait deux par là ?
— A vrai dire, nous étions en train de travailler sur tes champs, maître. C’est plutôt loin du gué. Il y a des chemins creux, des haies, épaisses et hautes…
— Il pouvait donc n’y avoir qu’un seul homme à cheval.
Clément se gratta la tête.
— Comme Émile l’a dit, pour voir exactement, était très difficile et…
— Tu ne vas pas recommencer avec « loin » et « pas loin », les buissons, les haies, que sais-je encore ! Il n’y avait aucune raison pour qu’il y ait deux cavaliers ! Moi, j’affirme : un seul.
— J’allais te dire, maître, que, bien sûr, on a cru en voir deux et peut-être bien que nous les avons vus, et que c’est possible, malgré tout, qu’il n’y en ait eu qu’un.
— Qu’est-ce encore que cette idiotie ! s’exclama le comte.
Clément murmura en frissonnant :
— Oh ! non, pas une idiotie, maître… Avec ce qui est passé après… Et si le second cavalier… c’était… c’était le Malin !… Si c’était lui !…
Le comte dévisagea son témoin qui avait été pris de tremblements.
— Ce qui m’importe est ceci, lança-t-il : oui ou non un seul cavalier… et reprends-toi, sinon je saurai comment te calmer, moi !
Clément finit par maîtriser sa frayeur.
— Oui, oui, parvint-il à articuler, c’est comme tu le dis : un seul sur les terres des Gérold et se dirigeant vers le Gué du… enfin vers le gué.
— Et vous auriez aperçu d’autre part, sur le domaine des Nibelung cette fois, un homme à cheval qui venait de l’est et s’approchait, lui aussi, de l’Ouanne ?
— Oui, maître ! Un peu plus tard que les… je veux dire que l’autre, confirma Émile.
— Voilà qui va déjà mieux ! Maintenant, revenons à ces Frisons ! Donc, ils étaient occupés à sarcler, puis ils se sont éloignés du champ sur lequel ils travaillaient, celui qui est situé non loin de la rivière, n’est-ce pas ?
— C’est ainsi, maître.
— Il leur fut facile de s’approcher du gué.
— Tout à fait comme tu le dis. Ces créatures-là ne craignent pas le diable, vu qu’eux-mêmes…
— Assez avec cela ! Reprenons ! Ils s’en seraient approchés vers quelle heure ? Au moment où vous avez aperçu les cavaliers ?
— Tu sais, maître, après dix ou douze heures de labeur, surtout le sarclage qui est si pénible, le dos, les bras, les jambes deviennent comme du bois… Alors avec la fatigue, la vue qui se trouble…
— Je ne te demande pas de jacasser sur les travaux des champs. Je te demande à quelle heure ceux-là (il désigna les esclaves encagés) se sont approchés de l’Ouanne. Dirais-tu vers les dix heures ?
— Oui, acquiesça Clément, ça devait être vers la
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