Le Gué du diable
provoqué par la ritournelle des investigations semblables, mais crainte aussi, car on n’avait jamais l’assurance que l’arrivée de seigneurs et d’hommes d’armes n’entraînerait pas finalement quelque drame, comme on en avait vu tant d’exemples.
Timothée put établir rapidement l’échelonnement des passages :
— Badfred en premier, précisa-t-il, puis Robert, je dirai à une demi-heure ; notablement après Isembard et le gros des Gérold, Hermant étant sur leurs traces ; les Nibelung, conduits par les fils de Frébald…
— Au fait, pourquoi celui-ci n’est-il pas à la tête des siens ? demanda Erwin.
— C’est étrange, en effet, seigneur, répondit le Grec, mais je n’en connais pas la raison.
— Tu disais donc : les Nibelung…
— Ils ont certainement adopté une allure très vive car ils se sont rapprochés des Gérold ; quant aux nôtres, plus lourdement équipés…
— … ils sont à l’arrière-garde et nous fermons la marche, compléta le Saxon sans en paraître autrement ému… Et concernant Ermenold ?
— Point de nouvelles.
— Par où peut-il être passé, vers où, pourquoi ?
— Après la leçon qu’il a reçue, il devrait avoir retrouvé le droit chemin, estima le Goupil.
— Oui, mais lequel ? ajouta Erwin.
Sans même s’informer sur les itinéraires empruntés ensuite par les différents détachements lancés à la recherche d’Albéric et de Clotilde et qui se pourchassaient, l’abbé Erwin et son peloton prirent la direction de Brienon. Ils y parvinrent, après avoir traversé l’Armançon sur un bac, avant la mi-journée. Ils y apprirent que tous les poursuivants les avaient devancés en cette cité à peu près dans le même ordre qu’à Seignelay.
C’était jour de foire et les rues étroites du bourg étaient encombrées d’une foule de négociants, de chalands, de saltimbanques, de diseurs de bonne aventure, de musiciens et de vendeurs ambulants, qui proposaient aux visiteurs et aux badauds nourriture et boisson, ainsi que de chevaux, de bœufs et de vaches, de moutons, de porcs, de lapins et volailles dans des caisses à claire-voie… Partout avaient été dressés des étals et des estrades au beau milieu de la chaussée. Les marchands présentaient des tissus et des vêtements, des aliments, des simples, condiments et épices, des remèdes, des ingrédients de sorcellerie tels que crapauds desséchés, décoctions de plantes mystérieuses, venin de vipère, araignées vivantes, poudres aux vertus magiques pour la vigueur de l’homme, la fécondité de la femme, pour prolonger la vie… et aussi pour la raccourcir. Dans la cohue s’activaient les percepteurs de tonlieu escortés par des miliciens, ce qui entraînait, sur le montant de cette taxe, des contestations véhémentes qu’observaient des attroupements.
La foule avait vu arriver avec intérêt, mais sans plaisir, les premières troupes qui avaient traversé la cité, car elles avaient obligé la cohue à lui faire un chemin qui bouleversait le savant désordre du marché, gênait les transactions et perturbait les réjouissances. Quand l’abbé saxon arriva, le mécontentement avait tourné à l’irritation. Erwin apaisa quelque peu les esprits en faisant procéder à des acquisitions de vivres dont ses hommes n’avaient pas expressément besoin et qu’il paya libéralement alors qu’il aurait pu utiliser son droit de réquisition.
Au-delà de Brienon, Erwin progressa vers Bligny-en-Othe que son peloton atteignit rapidement. Il décida d’y faire une halte pour nourrir, abreuver et faire reposer les chevaux. En interrogeant les habitants, il eut confirmation que les deux fugitifs étaient bien arrivés la veille, dans l’après-midi, à Bligny ; mais, ensuite, on avait perdu leur trace. En conséquence les détachements successifs, qui avaient suivi jusque-là, depuis Auxerre, un même itinéraire, avaient entrepris, à partir de cette localité, des recherches divergentes. Erwin confia à Timothée le soin de se renseigner sur la marche des différents groupes de poursuivants, en lui adjoignant un garde et un milicien comme éclaireurs. Après une collation rapide, lui-même, avec la petite escorte qui lui restait, prit la route du nord.
Le Grec entreprit ses investigations aux abords mêmes du village. Quant à Badfred et Mélior, quant à Robert et son valet, quant à Hermant et ses hommes, il ne put recueillir la moindre indication. En
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