Le Gué du diable
quelques instants je serai aux écuries.
— Et moi, seigneur ? plaça frère Antoine, tandis que le cavalier se précipitait pour faire exécuter les ordres du missus dominicus.
— Toi ? Tu restes à Auxerre ! décréta Erwin.
— Cependant… commença le moine.
— Il n’y a pas de « cependant » ! J’ai besoin ici même de quelqu’un qui continue à faire surveiller la cité et qui puisse prendre la responsabilité de toute mesure lui paraissant opportune. Vois-tu, à cette heure, un autre que toi ? Non, n’est-ce pas ! Je laisse à ta disposition Dodon et quatre gardes, y compris les deux qui patrouillent. Tels sont mes ordres !
Le frère Antoine, très dépité, répondit en exagérant l’attitude de l’obéissance :
— Je suis ton humble serviteur, mon père !
Erwin sourit et fit un pas vers son assistant.
— Allons, frère Antoine, dit-il, tu as eu plus d’une heure glorieuse. Souviens-toi seulement des équipées de Bagdad ! Nous en aurons et tu en auras encore, si Dieu nous prête vie.
— Je suis un sot, seigneur, acquiesça le moine.
L’abbé s’adressa alors à la femme de Frébald.
— Noble Adelinde, je te prie de demeurer en cette résidence où Gerberge pourra te rejoindre si tu le souhaites. Marie-Flore, qui s’occupe de notre intendance, se tiendra à ta disposition. Tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver ces enfants, je le ferai avec l’aide de Dieu que nous allons implorer. Tu seras avertie la première des résultats de nos recherches. Prions !
Erwin, Adelinde, le frère Antoine, le diacre Dodon et un garde présent dans la salle prononcèrent, à genoux, une supplication.
Le missus dominicus se releva avec ce visage dur au regard lointain qui était le signe de sa détermination et se dirigea à grandes enjambées vers le vestibule, puis vers les écuries où il rejoignit les gardes qui allaient l’accompagner.
Erwin et son escorte composée des quatre gardes, auxquels il avait adjoint deux hommes de la milice d’Auxerre connaissant bien la région, franchirent l’Yonne après la deuxième heure du jour sur l’unique pont reliant la rive gauche à la rive droite à hauteur de l’église du Saint-Père. Ils passèrent ensuite devant l’abbaye Saint-Cosme-et-Saint-Damien, puis en vue du couvent des moniales situé non loin du monastère Saint-Marien.
Arrivé à Monéteau, le Saxon y retrouva les deux estafettes qui y avaient été envoyées tôt le matin, ainsi que Timothée qui l’attendait. Il apprit de ce dernier qu’Albéric et Clotilde, la veille, après avoir traversé l’Yonne, s’étaient engagés sur la route de Seignelay. Tous les poursuivants avaient fait de même, y compris Badfred, puis Robert, enfin Isembard et les siens qui avaient franchi la rivière, eux, à Appoigny, comme cela était prévisible.
La troupe, commandée par le missus dominicus, assisté maintenant par Timothée, et renforcée par les deux estafettes dont la présence à Monéteau n’était plus utile, se dirigea donc vers Seignelay où elle parvint après une grande heure. Le Goupil observa avec intérêt que le Saxon avait ordonné un train soutenu mais sans excès. Il devait estimer que la route serait longue et qu’au bout du chemin des péripéties mouvementées les attendaient. De toute évidence il voulait ménager les montures.
C’était une lumineuse matinée d’avril. Le soleil dissipait les lambeaux de brume qui s’accrochaient encore aux hauteurs couronnées de pins et de fayards. Dans les champs, hommes, femmes et enfants s’adonnaient aux travaux de printemps et levaient à peine la tête pour regarder le petit détachement conduit par Erwin, car, depuis le matin, ils en avaient vu passer de plus imposants. L’air était si vif, la température, fraîche, si favorable à la chevauchée que les deux lieues séparant Monéteau de Seignelay parurent à tous avoir été franchies en un instant et comme dans l’allégresse.
Dans la cité même, après le passage des fugitifs, la veille, celui de nombreux hommes d’armes, au matin, était d’autant moins demeuré inaperçu que ceux qui s’étaient succédé avaient tous posé aux taverniers, commerçants et badauds les mêmes questions concernant un couple de jeunes cavaliers en fuite. Les habitants étaient partagés entre curiosité, amusement et crainte : curiosité quant à l’identité de ceux qui étaient recherchés et quant aux raisons de la poursuite, amusement
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