Le Gué du diable
revanche, il obtint des renseignements concernant les deux fugueurs : une femme, qui binait son potager, déclara les avoir vus chevauchant, à petite allure, vers l’est ; l’un des deux cavaliers paraissait fatigué. Vers l’est ? Et le missus qui était parti vers le nord !… Toutefois Timothée ne tenta rien pour le prévenir, car Erwin lui avait enjoint de ne s’intéresser qu’à ceux qui menaient la chasse, quoi qu’il arrivât par ailleurs.
Continuant son enquête, il finit par découvrir qu’Isembard et les siens, ainsi que les Nibelung, s’étaient dirigés vers l’ouest, suivis par Childebrand. Mais, au-delà de Bussy-en-Othe, les routes des uns et des autres, qui étaient entrés dans la forêt de Courbépine, s’étaient notablement écartées. Manquant de repères, sans piste sûre, ils en étaient réduits sans doute à des recherches tâtonnantes et hasardeuses. Le Grec, lui, n’était guère mieux loti, sauf qu’il lui était plus facile de pister des groupes nombreux, laissant des traces de leur passage, qu’à ceux-ci de rechercher la retraite de deux fugitifs.
Arrivé aux étangs de Saint-Ange, au cœur même de la forêt, Timothée eut la surprise d’y trouver Doremus qui l’attendait, impatient, ayant, pour une fois, perdu quelque peu son sang-froid.
— L’abbé Erwin n’est donc pas avec toi ? demanda celui-ci désappointé, en scrutant du regard la sente de laquelle le Grec avait débouché.
Ce dernier expliqua à son ami quelle route avait choisie le Saxon.
— Mais toi-même, ajouta Timothée, comment as-tu pu deviner que je passerais par ici ?
— Aurais-tu oublié, répliqua l’ancien rebelle, que, pendant des années, j’ai été un « marquis des clairières » ? Pour un œil averti, ces étangs sont quasiment un point de passage obligé… Mais venons-en à l’essentiel ! Il y a du nouveau, et de la plus extrême gravité. Reprenons nos montures, car il nous faut rejoindre le comte Childebrand sans tarder ! Je t’informerai en chemin.
Quand ils furent en selle, Doremus annonça à Timothée qui brûlait de curiosité :
— Théobald est parvenu à retrouver notre détachement.
— Théobald ?
— Attends donc ! Il a appris au comte Childebrand que la retraite d’Albéric et de Clotilde avait été découverte.
— Comment cela, quoi ? s’exclama le Grec.
— Ils se sont réfugiés dans une maison forestière appartenant à un certain Rémy qui garde non loin de Dilo…
— C’est une bourgade au nord de la forêt, précisa le milicien qui accompagnait Timothée.
— … qui garde donc, près de Dilo, reprit Doremus, une chasse dont la propriété est revendiquée à la fois par les Nibelung et par le comte d’Auxerre.
— Pourquoi nos deux étourneaux se sont-ils confiés à ce Rémy ?
— C’est un homme libre, qui appartient, lui, aux Nibelung, une sorte de vassal de Frébald, on devrait mieux dire d’Adelinde. Âgé, mais encore vigoureux, il vit comme un ours au milieu des bois. Comment ne pas penser que c’est Adelinde elle-même qui a fourni cette cache à Albéric !
— Pour quelles raisons ? s’enquit le Goupil.
— Je l’ignore.
— Mais comment Théobald a-t-il appris ce qu’il a communiqué à Childebrand ?
Doremus fit attendre la réponse un court instant puis lâcha :
— Par Ermenold !
Timothée, ayant arrêté sa monture, en resta muet de surprise. Puis il se reprit.
— Ermenold, par l’enfer ! dit-il entre ses dents. En voilà bien d’une autre !
— Je suppose, avança l’ancien rebelle, que le comte d’Auxerre a conservé des informateurs dans le pays. Hier déjà, il a dû recueillir des indices sur le trajet des deux fugitifs, et, avec les renseignements qu’il a récoltés ce matin…
— Je te suis, dit le Goupil. Mais pourquoi a-t-il éprouvé le besoin d’avertir les Nibelung ?
— Selon Théobald, il ne s’est pas limité à cela. Il aurait demandé au vicomte Héloin de joindre Isembard et les Gérold pour les tenir au courant.
— De sorte que…
Doremus hocha lentement la tête d’un air entendu.
— Oui, dit-il, de sorte que, sous couvert de rendre service, il précipite peut-être les uns et les autres dans un affrontement sanglant, étant donné les meurtres et attentat récents, la méfiance et la haine qui animent les antagonistes. Une fois déjà, il t’en souvient, on l’a évité de justesse. Mais cette fois-ci, en raison de
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